Antoine
Dorotte

04.06.2015

Dirty Bobineau

Dirty Bobineau, 2011
eau-forte sur zinc, 21m x 1m
Vues de l’exposition à la galerie ACDC, Bordeaux.

Extrait vidéo documentant la réalisation de l’œuvre

Dirty Bobineau
Acid-test en centre Bretagne
Bobineau, c’est le nom que l’on donnait à la bande magnétique à l’âge analogique. Cela désigne aussi un type de conditionnement du zinc en bobines de 1 mètre par 21. Antoine Dorotte pour sa nouvelle pièce fusionne les deux acceptions : la bobine de métal devient le support d’un enregistrement graphique, réalisé in situ, sur le motif, par gravure directe à l’acide, au pulvérisateur de jardin.

Un jalon sans doute dans une œuvre où la gravure s’affranchit de plus en plus de la planéité pour atteindre une dimension quasi monumentale ( on attendra avec impatience la misteriosa bola de 5 mètres de diamètre qu’il pense parachuter dans un étang à l’occasion de la biennale d’Anglet ), même si le dessin reste la matrice du travail de l’artiste. L’exposition présente d’ailleurs les derniers avatars de sa gloss series, cette suite de dessins coloriés au feutre sur papier glacé de format 17x23, initiée en 2006, dont les sujets hétéroclites reflètent la diversité des curiosités de l’auteur ( ainsi que son humour plutôt noir ) - paysages, scènes de genre, ninjas et odalisques, beaufs et jet-setters, le hard- rock et la pêche à la ligne… avec comme dernière déclinaison bucolique : enfants et légumes géants.

Avec Dirty Bobineau, le bucolique semble bien loin.
Drôle d’impression, au sens photographique du terme, d’un panorama naturel que les aléas inhérents à la technique utilisée tirent vers le brumeux, l’aquatique, l’abstraction - on songe aux nymphéas de Monet, mais version grisaille destroy. A moins qu’il ne s’agisse d’un de ces relevés hygrométriques que l’on voit dans les salles de peinture ancienne des musées, d’un électroencéphalogramme du paysage choisi. La bobine métallique, déroulée pour former un cercle lors de la captation de la nature sauvage, se referme en spirale pour venir occuper l’espace principal de la galerie, à l’image d’un labyrinthe de jardin. Michaël Heizer dessinait au bulldozer, Antoine Dorotte installe en plein champ son serpent métallique ( figure récurrente dans ses travaux depuis Sur un coup d’surin, jusqu’à Suite d’O ) pour le maculer d’acide avant de tordre ce paysage pour le contraindre aux dimensions d’une salle. Déplacement de site : une des procédures inventées par les acteurs du Land Art américain, ce mouvement héritier du Romantisme et de l’Art minimal. Comme chez les land-artists, apparemment peu de préoccupations écologistes chez Antoine Dorotte. Sa bergerie peut n’être peuplée que de moutons à cinq pattes, son traitement du paysage, tout en éclaboussures expressionnistes sur matériau industriel, avec la part de hasard induite par l’outil retenu, évoque pourtant des phénomènes naturels d’érosion, de corrosion - l’entropie à l’œuvre. L’artiste poursuit donc là sa recherche de fusion entre Sixtine et sixties. Lors de la dernière FIAC, il nous présentait des polyèdres héritiers de Dürer comme de Donald Judd ; aujourd’hui, nous sommes quelque part entre Hercule Seghers et Smithson. Fusion chimique / alchimique évoquée par la technique même de la gravure, hybridation du sens… on retrouve les figures centrales autour desquelles tourne le travail de l’artiste, à l’image de cette spirale métallique qui vient bousculer notre sens de la perspective.

Tangi Belbeoc’h, 2011

Antoine Dorotte © Adagp, Paris