Camille
Bondon

12.07.2023

Résolument contente

Veronica Valentini, mai 2015

Camille Bondon est une jeune femme avec un physique et des traits fins. Elle s’habille dans un style masculin, porte des lunettes rondes et les cheveux courts. Lorsqu’elle se met à l’œuvre, c’est avec un sourire retenu, des fossettes se dessinent sur son visage et ses yeux se réjouissent. Ces détails, son léger strabisme, ainsi que la gamme des gestes et des paroles employés dans son travail, incarnent sa pratique et le type d’attention qu’elle porte au monde.

L’œuvre de Camille Bondon (1987) se développe à l’oral, dans la fabrication d’objets et l’esquisse de gestes. Sa pratique se manifeste tant dans l’énonciation de pensées et d’idées, que dans la construction d’outils pour convoquer et installer des situations. L’artiste dessine, façonne des objets éditoriaux, élabore du mobilier avec une rigoureuse économie de moyens et une sobriété de formes. Ses dessins, souvent en noir et blanc, possèdent un trait simple et schématique. Ils forment des images, synthèses de principes. Par accumulation, ce répertoire dessiné propose un vocabulaire visuel et amorce une écriture idéogrammatique comme outil de communication (Abrégé visuel, 2013). Dans ses carnets de recherche, l’artiste a pris l’habitude (in)sensée d’annoter, de graver sa temporalité et transcrire le réel. Par le biais d’une symbologie ou de cet alphabet particulier (mi-textuel, mi-dessiné), elle produit un inventaire de principes à l’œuvre à travers les rencontres et événements qui surviennent tous les jours, trois cent soixante-cinq jours sur trois cent soixante-cinq.

Pourtant, la production principale de Camille Bondon réside dans l’exposé de pensées et de réflexions qui se produisent dans son déploiement oral. L’artiste utilise des stratégies sémantiques empruntées au discours, à la conversation, à la causerie, pour tisser un répertoire de termes et pensées. Elle nous invite à observer, entendre, dire ce qui pourrait être fait, lu, compris avec une chose, en plus de ce qui est fait normalement avec elle (comme dans la pratique de Bruno Munari). Avec L’objet des mots (2011) c’est autour d’une boîte qu’elle met en œuvre le discours : les objets contenus sont sujets à une redéfinition continue de leur statut, ils sont de la matière à pensées. Parfois l’artiste développe des paroles et concepts à partir d’éléments, de boites dans lesquelles elle pioche des cartes ou des objets (La forme des idées, 2014). Elle manipule ainsi un corpus de petites notes ou chunks (petits fragments significatifs) entre lesquels elle fait lien pour qualifier la situation et donner à voir l’élaboration d’une pensée de la chose qui se construit.

L’intérêt porté par l’artiste à la communication verbale et écrite s’élargit à la communication non verbale : celle corporelle de nos gestes et de la posture de nos corps dans l’espace (proxémie). En 2013 la performance La distance entre les corps dessine par le biais d’un schéma graphique sur le sol les rapports de distance et de proximité humaine, et la manière dont le mobilier et l’architecture guident nos attitudes. Poursuivant cette réflexion, l’Unité de construction (2015) se présente comme un mobilier de blocs et panneaux dont l’artiste se sert pour écrire dans l’espace des situations et des usages. L’artiste y partage une conversation, un savoir ou un savoir-faire et invite aussi les autres à en faire l’expérience, à vérifier leur projection et partage de connaissances. Lors d’un workshop à l’école d’art de Rouen, elle met à disposition des étudiants ces outils pour dessiner et faire apparaître à leur tour des situations. Cette qualité d’ouverture offre l’espace nécessaire à l’autre pour s’installer, prendre sa place avec ce qu’il est, produisant quelque chose de neuf à son tour. L’artiste agit dans une adresse aux autres, en jouant sur l’intelligence humaine et le langage verbal en plus de la complémentarité des signes corporels des autres. Dans le travail de Camille Bondon, comme le disait déjà Susan Sontag dans l’essai Contre l’interprétation (1960), ce qui fait l’œuvre tourne autour du fait que l’œuvre affine la sensibilité, éveille l’intelligence des sens et rend conscient.

La présentation des présentations (2015) est une performance créée à l’occasion d’une présentation du programme GENERATOR à l’école d’art de Quimper, où l’artiste confie à son entourage artistique, amical et familial le soin de donner à comprendre son travail. L’artiste se fait souffler à l’oreille les différents points de vue et ensuite nous le communique en modérant le va-et-vient des micro-expressions des souffleurs. Elle fait corps avec ces critiques, donne voix à des personnes dont nous reconnaissons l’identité par quelque indice déictique révélant un peu de leur personnalité et le type de relation qu’elles entretiennent avec l’artiste (« notre Camille », « ma fille », « mon amie artiste »). Camille Bondon répète ce qu’elle entend de l’enregistrement dans son oreillette, avec un timide décalage qui rappelle que c’est quelqu’un qui lui suggère les mots. Le style est celui du langage parlé et conversationnel. L’invitation de l’artiste à s’exprimer librement sur son travail donne lieu à un flux continu de la conversation où des réflexions en suspens, initiant ainsi par ce procédé, le spectateur à la pratique de l’écoute. Au début de chaque nouvelle considération/critique elle imite des tics de ces personnes mais ce jeu d’imitation se dissimule dans le corps de l’artiste qui traduit, élabore et recrée. Cette démarche a des similitudes avec celle utilisée par la critique d’art Carla Lonzi dans le livre Autoritratto (1969), une série de conversations avec des artistes dont Lonzi a gardé la trace grâce à un enregistreur (assez révolutionnaire pour l’époque) au cours des années, puis qui ont été ensuite retranscrites et enfin rassemblées selon une technique non-linéaire. Le thème de fond de ce livre était l’émancipation de l’artiste qui à travers le travail de la critique est légitimé à parler à la première personne. Ici c’est la subjectivation et l’intelligence du public qui émancipe l’artiste à travers son corps et sa voix. Donc La présentation des présentations c’est le portrait actuel de son œuvre, œuvre qui laisse la parole au public qui peut parler librement du travail et exprimer son point de vue sur sa production artistique, sa personnalité, son caractère. L’ensemble de ce recueil d’opinions devient à la fois une matière et une description représentative de Camille Bondon et de son œuvre, mais cela est valable aujourd’hui et non demain car la prochaine présentation sera très probablement différente.