Eva
Taulois

25.04.2024

La Fontaine

29eme résidence, Les Ateliers des Arques

Nous sommes dans le petit jardin qui prolonge les ateliers , assises sur un banc en béton, face à la fontaine qui est en train de prendre forme. De part et d’autre, le presbytère et la vallée avec ses champs à perte de vue. Profitant d’une pause, Eva allume une cigarette. Il est 15h.

Quand nous sommes arrivés aux Arques, tu as très vite exprimé ton souhait de travailler en étroite collaboration avec les membres du club. Tu n’envisageais pas de te réfugier dans ton atelier sans avoir la possibilité de mettre en commun. Tu as eu l’intuition qu’ici il était possible de réconcilier le moi et le nous.


Tout à fait. La session de février s’est avérée importante, elle a déclenché plusieurs projets et le désir de travailler ensemble. Nous nous sommes demandés ce que ça signifiait d’être invités à participer à ce club. Qu’est-ce que c’est de travailler ensemble, d’avoir des attentions aux autres, comment ces attentions peuvent s’étendre aux villageois? J’avais ce désir de produire des pièces qui s’adressaient en premier lieu au club et qui, à la fin de la résidence, s’adresseraient aux personnes qui visitent l’exposition mais également le village.

Tu as d’abord pensé à une piscine, autour de laquelle on pourrait se réunir, se rafraîchir, se détendre en fin de journée. Mais après une recherche fructueuse sur Le Bon Coin, l’idée de la fontaine a émergé.

Le club est très attaché au Bon Coin. Ce projet de piscine n’était pas anecdotique, il était lié à mes origines. J’ai grandi au bord de la mer et j’ai l’habitude de me baigner. Quand j’arrive sur un territoire loin de la mer, je cherche un point d’eau, un endroit où je pourrais me baigner. L’eau dégage une atmosphère différente, c’est fluide. Il y a quelque jours, nous sommes allés au lac vert de Catus, cette ambiance au bord de l’eau a amené autre chose. C’est un endroit autour duquel on peut se retrouver. Aux Arques, dans le village, il n’y a pas d’eau. J’ai donc pensé à construire une piscine, mais je n’avais pas vraiment envie de creuser pendant trois mois, et d’un point de vue écologique, je ne m’y retrouvais pas. Avec le temps, je suis devenue plus raisonnable, dans le bon sens du terme. J’ai pensé à une baignoire car le volume n’est pas inintéressant et prendre un bain en extérieur c’est quand même agréable. J’ai donc regardé les baignoires sur Le Bon Coin, et j’y ai trouvé cet ensemble, baignoire, lavabo, bidet, bleu de jade en forme de coquillage assez exceptionnel. Les trois éléments de hauteurs différentes m’ont tout de suite fait penser à une fontaine qui pourrait fonctionner en circuit fermé, avec de l’eau en mouvement, qui projette de différentes manières, comme des idées qui fusent.

Cette fontaine est une projection de nous, du club. Tu envisages d’ailleurs souvent tes sculptures comme des acteurs qui composent un ensemble chorégraphique dont les visiteurs de l’exposition ne sont pas exclus, bien au contraire.

C’est de plus en plus vrai. Récemment j’ai réalisé des oeuvres qui composaient un ballet de sculptures. Elles pouvaient être déplacées facilement sur roulettes, alors que là, c’est l’eau de la fontaine qui amène le mouvement. Quand l’eau circule, ou quand on regarde un feu de cheminée - Io m’a confié en regarder de temps en temps sur son écran d’ordinateur - c’est un peu comme si on était soi-même en mouvement. Ça ramène à un souvenir, à un état de contemplation. Regarder l’eau jaillir de la fontaine peut procurer un certain plaisir, les visiteurs pourront s’y assoir, y tremper les pieds, entrer en contact avec elle. Ce n’est pas qu’une oeuvre à contempler, le visiteur devient acteur de la sculpture.

Tes oeuvres s’adressent en effet autant au corps qu’à l’esprit des visiteurs surmontant par là même la division entre l’art et l’artisanat.

C’est le fondement même de mon travail, ça vient entre autres de ma formation en arts dits appliqués, appliqués à la vie.
Cette réconciliation est fondamentale pour générer des idées. Quand je cherche à sculpter une forme, « la bonne forme », je tiens aussi à transmettre un dessin, un volume aux personnes qui visitent les expositions. J’aime également qu’on puisse s’assoir dans les expositions, afin d’être tourné vers l’extérieur ; l’environnement plutôt que l’oeuvre elle-même.

En parlant de « bonne forme » , la pratique de l’eau renvoie à une conception hygiéniste du corps et de l’esprit qui a traversé nombre des utopies communautaires du début du XXème siècle. Nous avons partagé des envies de réveils corporels, de longues marches, de sessions de natation dans des piscines de villageois qui accepteraient de nous accueillir, etc..

Ce sont des activités physiques mais également des activités de détente. On est en mouvement et les idées circulent différemment. C’est une façon de prendre soin de nous mutuellement et ce soin s’étend aux oeuvres que nous produisons.

Le rapport à la nature ici est très prégnant. J’aime bien parler des Arques comme d’un fond vert, alors que toi-même tu évoques souvent l’idée d’incrustation de tes oeuvres dans le contexte de leur exposition.

Oui, ça devient pluriel. Quand on a placé la structure de la fontaine, nous n’avions pas remarqué le toit de la tourelle du presbytère, la sculpture a ouvert un nouveau point de vue. Elle a donné de nouvelles images. C’est quelque chose ce rapport au paysage, ça me plaît énormément. C’est aussi un rapport à la peinture, à l’histoire de l’art. J’ai l’impression d’intégrer de nouvelles formes dans l’histoire de la peinture. Sur la production des oeuvres, j’ai un peu lâché prise. J’ai d’abord dessiné la fontaine à la palette graphique, assez grossièrement. Je cherchais plus à traduire une atmosphère, en imaginant des histoires que la pièce pourrait inspirer. Travailler dehors, à plusieurs, dans ce contexte, a influencé ma manière de travailler. La fontaine s’est réellement dessinée en faisant, c’est-à-dire que la phase qui consistait à recouvrir la structure de plâtre a été assez intuitive.

Extrait de l’entretien entre Solenn Morel et Eva Taulois


Photos : Nelly Blaya

© Adagp, Paris