Haunt
Selon le théoricien culturel Mark Fisher, le « hantement » se manifeste lorsqu’un lieu est imprégné par le temps, ou lorsqu’un endroit spécifique devient le théâtre d’une rencontre avec le temps brisé.» Dans sa première exposition sans performeurs en direct, Gicquel traduit cette sensation à travers des état changeants de présences qui investissent des constellations d’objets ambigus et des scénaris sculpturaux. En manipulant la forme et la couleur afin de susciter un effet psychologique et émotionnel, Fanny Gicquel explore «l’affordance» ou l’activation potentielle latente dans les objets, la mémoire personnelle et l’histoire institutionnelle.
Cette exposition est née d’une recherche collaborative que Fanny Gicquel a entreprise lors de sa résidence aux Archives de la critique d’art. Touchée par l’interaction entre les documents officiels, professionnels et personnels liés à la vie et à l’activité des critiques d’art français, Fanny Gicquel a travaillé en partant de la matérialité des archives et de la diversité de leur statut ambivalent. « A la surface des documents, une vie cachée et plus intime se révèle, tels que des dessins dans les marges, des taches de café sur un document », explique l’artiste. Les gravures donnent à voir des documents choisis avec la collaboration de designers, de théoriciens, d’historiens et de critiques qui ont été conviés. Il en ressort une «base de données» intime et fluide qui construit une narration associative et non linéaire. Ses rencontres avec les documents ont suscité une réflexion plus large sur les archives, la mémoire, les fantômes et la façon dont ils hantent l’espace ou les objets.
Pour créer l’œuvre hapdomain - un néologisme formé à partir du grec ancien haptikós « capable de toucher » et abdomen - Gicquel a transféré des sélections de textes et d’images des ACA sur des plaques de cuivre grâce à un processus de photogravure. Coupée, déformée, cousue et recombinée, la sculpture de cuivre suspendue qui en résulte évoque la silhouette organique et enveloppante d’une chrysalide dans laquelle se croisent différentes temporalités, géographies et biographies. La nature fugace et éthérée de la pensée et de l’intimité se reflète dans la qualité haptique du matériau : En raison de sa nature réfléchissante et lumineuse, le cuivre permet aux images gravées sur sa surface d’apparaître et de disparaître avec les mouvements du spectateur. Les motifs des gravures A long ribbon of scenes, dont le titre fait référence à A Moment of Being de Virginia Woolf, ont été sélectionnés en collaboration avec un groupe de designers, de théoriciens, d’historiens et de critiques.Une forme intime et fluide de « base de données » émerge, construisant une narration associative et non linéaire.Une série de sculptures en verre remplies d’eau, intitulées touch and release, portent l’empreinte de différentes positions de la main, comme pour imiter une caresse ou saisir un objet.À la fois contenu et contenant, ces récipients portent les traces fantomatiques de nombreuses mains, évoquant ainsi le processus collectif de constitution, de conservation et d’exploration des archives, tout en évoquant la notion d’hydroféminisme, qui, en mettant l’accent sur la collectivité radicale, soutient que nous sommes tous liés à la planète aquatique par un continuum fluide.
Les armatures en acier et en laiton de la série sculpturale Hold our ghosts - to my grandmother (Tenir nos fantômes - à ma grand-mère) s’inspirent de la taille de cartons de déménagement standard, que l’artiste frappe, étire et presse pour imprégner d’émotion ces formes réglées. Chaque sculpture devient une sorte d’« archive vivante » non seulement par sa manipulation physique, mais aussi par l’inclusion de petits boutons provenant de l’une des collections personnelles de Gicquel : des objets délicats accumulés au fil des générations par les membres de la famille dans différents contextes en Italie, en Algérie et en France, et qui ont été légués à l’artiste par sa grand-mère.Ces objets muraux, qui font appel aux langages de la peinture et de la sculpture, suggèrent le geste d’ouvrir et de fermer, de protéger ou de découvrir nos secrets et nos histoires.
Jesi Khadivi.