arkparkcraftraftcliniclubpub
ARKPARKCRAFTRAFTCLINICCLUBPUB est le titre d’une exposition réunissant des œuvres de ces quinze dernières années, ré-interprétées et ré-élaborées sur place en s’appuyant sur des ressources et des matériaux locaux. Cet échantillonnage de travaux représentatif est accompagné par de nouveaux projets développés spécialement pour le MoBY.
A l’image du titre, l’espace de l’exposition est pensé comme hybride et multiple : un espace donné n’est jamais sans rappeller un autre. Des espaces, des lieux se croisent et se superposent sans cesse.
Peu de choses séparent ce musée —sorte de mini-Guggenheim— de la Nouvelle Gare Routière de Tel Aviv —située à quelques kilomètres de là— d’un vaisseau extraterrestre, d’une maison de quartier, d’un tambour géant…
Consultez une documentation de l'exposition sur le site du Moby
Photos : Gal Deren
Plusieurs lieux mis bout à bout (une arche, un parc, un vaisseau, un radeau, une clinique, un club, un bar) constituent le long mot-valise qui sert de titre à l’exposition monographique de Francesco Finizio « ARKPARKCRAFTRAFTCLINICCLUBPUB ». Il nous signale d’emblée l’importance donnée à la question de l’espace. Comme le suggère notamment l’étymologie du terme « immobilier », l’espace se définit a priori par son caractère immuable, telle une propriété immobile. Mais la monétisation dont chaque parcelle de terrain fait aujourd’hui l’objet a pour effet de perpétuellement transformer la nature de l’espace dans lequel nous nous trouvons. L’économie de marché est parvenue à faire trembler et vaciller n’importe quel lopin de terre que cela soit grâce aux gratte-ciels, des extrusions permettant de démultiplier la valeur de la surface occupée au sol, ou par l’étalement suburbain, concrétisation spatiale d’une forme particulière d’endettement à vie forgée par la société le prêt immobilier.
Cette réalité a de quoi désorienter. Et c’est peut-être l’échangeur autoroutier qui fournit le meilleur exemple de la nature contre-intuitive de notre organisation spatiale : pour tourner à gauche, il faut prendre la sortie de droite. Dans ce même monde, vous pouvez contracter une assurance dans un bureau de poste privatisé et acheter un rasoir dans une supérette de station essence. Quand tout est potentiellement interchangeable, difficile de savoir où l’on se trouve.
L’exposition « ARKPARKCRAFTRAFTCLINICCLUBPUB » présente un échantillonnage des travaux clés de Francesco Finizio aux côtés de nouveaux projets développés spécifiquement pour le MoBY. Y figurent, parmi d’autres, une boutique entièrement monochrome, un restaurant pour chats, une plateforme de transmission des rêves, un magasin qui change d’activité dix fois par semaine, un bidonville de cabanes pour enfants, un bureau de recrutement à la recherche de sosies pour remplacer la momie de Lénine dans son mausolée, un feu de camp alimenté par des skateboards, une salle de jeux électroniques, un forum dont les participants partagent leurs tentatives d’exorciser —à l’aide de machines et dispositifs spécialement conçus— des démons perçus dans des nuages d’explosions télévisées, un lieu fait de chaises et d’écrans qui est à la fois un centre d’examen de la vue et un centre de voyance, et un magasin de souvenirs d’un parc d’attraction encore en construction. Ensemble, ils donnent au musée des allures de centre commercial dysfonctionnel, à moins que l’on ne se trouve à bord d’une soucoupe volante en déroute qui se serait écrasée au milieu d’une maison de quartier complètement sans-dessus-dessous.
Le travail de Francesco Finizio s’imprègne de l’oppressante saturation matérielle qui nous entoure. L’artiste utilise des ressources quotidiennes ; des moyens simples mais sophistiqués qui lui permettent de concrétiser ses recherches sur le langage et les gestes du consumérisme et des médias de masse. Ses travaux renouvellent ainsi de manière poignante notre façon d’envisager et d’articuler notre condition économique, culturelle, sociale, politique et artistique.
À travers une esthétique « fait-main » et une approche spontanée pleine d’humour et d’ironie, Francesco Finizio développe une pratique unique et idiosyncratique basée sur l’observation d’incidents et de phénomènes qui interrogent autant les notions de transaction et de valeur, que « l’agentivité » et la signification de nos constructions culturelles. Ses installations sont à la fois des modèles et des événements. Ainsi la représentation d’espaces planifiés pour des activités commerciales, pour l’habitat, l’exposition, la construction, l’archivage ou encore le travail, ont un aspect programmatique qui permet de spéculer activement sur les usages, les statuts et les sentiments que ces espaces cultivent.
Puisque rien n’est sûr sous le règne du capital, nous passons notre temps à spéculer. Que l’on travaille pour une banque d’investissement ou que l’on appartienne au précariat, nous sommes tous incités à créer un ensemble de règles à suivre. Le seul diktat qui ne varie pas, c’est la perpétuation de l’économie de marché. Dans l’ère capitaliste, la pensée indépendante et réflexive qu’incarnait autrefois la spéculation est devenue une manière d’assurer la durabilité d’un certain monde économique et politique.
Avec leur apparence ludique et improvisée, les installations espiègles de Francesco Finizio poussent une situation donnée jusqu’à son point de rupture, révélant ainsi les états contradictoires et les dimensions cachées du monde économique dans lequel nous vivons. Parce qu’il se déploie comme l’envers de notre monde familier, le travail de Francesco Finizio suggère un mode opératoire que l’on pourrait qualifier de « contre-spéculation ».
Joshua Simon, 2015