François
Feutrie

MÀJ . 12.09.2024

Fiction souterraine

Exposition, L’aparté Lieu d’art contemporain, Iffendic, 2015

Abstraction souterraine, 2015
Peinture acrylique sur papier Arches 300 g/m², 114 x 215 cm. Photos : Hervé Beurel

Bestiaire, 2015
Pièces en bois sur table et une au mur, peinture acrylique, vernis incolore transparent mat, table bois & acier, tubes fluorescents, divers formats. Photos : Hervé Beurel

Circonvolution souterraine, 2015
Extrait, vidéo HD, couleur, vidéoprojection en boucle, durée totale 10,41” min.

Bastic, 2015
tapis Shaggy Gåser tondu, poils hauts fibres 70 mm, 170 x 240 cm, vue de l’exposition personnelle « Fiction souterraine », L’aparté Lieu d’art contemporain, Iffendic. Photos : Hervé Beurel

/

Les habitants du sous-sol, 2015
Diaporama de 19 diapositives sépias grattées, rayées, frottées, projection en boucle.
© François Feutrie / ADAGP, Paris, 2022

Abstraction souterraine inaugure une série de peintures inspirées de la cartographie représentant la composition géologique des lieux en France où je suis allé, où j’ai vécu, en tout cas des lieux auxquels j’ai des souvenirs attachés. Dans l’idée de retranscrire un parallèle entre les souvenirs que l’on peut avoir d’un lieu et la mémoire enregistrée par la Terre que représente par exemple la composition géologique d’un territoire, ce projet propose une métaphore de la mémoire en coupe évoquant les souvenirs de ces lieux vécus. La taille de cette peinture volontairement grande et son format proportionnellement proche de celui d’un écran 16/9e évoquent une fenêtre numérique ouverte et invite à se plonger dans le cadrage d’un paysage abstrait.
Une des volontés premières est de montrer ce qui n’est pas visible comme point de départ à une fiction plastique. Le sous-sol et ses couches géologiques sont représentés par des données graphiques abstraites et cartographiques. Ils deviennent le territoire exploré comme potentiel plastique & poétique laissant libre court à une plongée visuelle & mentale dans le paysage coloré ramené à l’échelle humaine que constitue la pièce Abstraction souterraine.

Les formes extraites du paysage abstrait composant la pièce Abstraction souterraine, pourtant issu du réel mais déjà transformé, glissent vers un univers où des figures apparaissent, que l’esprit ne peut s’empêcher de raccrocher au réel ou à une figuration connue. Les formes de la pièce Bestiaire deviennent des objets, peints en blanc au recto et en couleur au verso, mis en scène sur une table éclairés par des tubes fluorescents faisant écho à un système de monstration présent dans les musées de sciences ou d’Histoire naturelle (collection de roches, de cristaux ou de minéraux par exemple) ou à un vivarium, reconstituant le milieu et l’habitat naturels particuliers d’espèces vivantes (insectes, amphibiens, reptiles). Le mode de présentation de ces pièces éclaircit le propos vers une possible mise en scène théâtrale.

La vidéo, intitulée Circonvolution souterraine, est une mise en scène théâtrale d’une danse lente avec les sculptures reprenant des formes extraites de la peinture Abstraction souterraine inspirée de la composition géologique du Domaine de Trémelin (Ille-et-Vilaine, France). Les formes abstraites se mettent à tourner et danser de manière énigmatique, par l’action d’une main arrivant hors-champs. Elle perturbe la scène et souligne une volonté de se jouer des dimensions terrestres en les ramenant à l’échelle humaine. Les formes d’apparence abstraites glissent vers un univers où des figures apparaissent, que l’esprit ne peut s’empêcher de raccrocher au réel ou à une figuration connue.

La pièce Bastic est, à l’instar des autres pièces de l’exposition, un jeu d’extraction de matière. Elle est une liaison graphique et sonore mais silencieuse avec les autres pièces de l’exposition, le son visuel par lequel tout a commencé, l’onomatopée accompagnant la formation des premiers éléments vivants et géologiques (le «BOOM» du bigbang). Bastic joue de sa propre composition hirsute, dite “Shaggy” en anglais qui est le nom donné à ce genre de tapis ébouriffé. L’association du mot en réserve «BOOM» et de son titre aiguille vers une référence sonore à un chanteur de reggae (Shaggy de son vrai nom, Orville Richard Burrell) devenu populaire dans le milieu des années 1990 avec son tube Boombastic. Le matériau de la pièce évoquant l’animal, l’expression «Faire l’amour sur une peau de bête» pourrait être un clin d’œil plus léger que la signification sexuelle du verbe anglais «To Shag» composant le nom de Shaggy. Enfin, la composition typographique du mot tondu fait écho à celle présente sur plusieurs albums du chanteur.

Dans la pièce Les habitants du sous-sol, l’apparition d’un appareil low tech tel que le projecteur de diapositives et les diapositives grattées issues du domaine de l’éducation aux sciences font écho à la mémoire et au temps qui passent. Les diapositives sont ici retravaillées manuellement en mimant graphiquement l’utilisation d’outils numériques, tels que le tampon duplicateur ou la gomme disponibles dans un logiciel numérique de retouche d’images comme Photoshop. La projection au mur n’est pas frontale, ce qui donne à l’image une dynamique faisant écho aux transitions de diaporama d’images que l’on peut apercevoir sur un ordinateur. Les diapositives sont plus ou moins grattées, frottées, rayées, ce qui révèle une nouvelle image rendant les insectes presque mutants. L’objet détérioré prend un sens nouveau, il devient objet graphique voire pictural. Les couches de la gélatine diapositive sont grattées tel que l’on gratterait le sol pour en faire apparaître sa composition géologique et donc son histoire.