Carré central
Vues de l’exposition Carré Central à la Galerie du Dourven, Trédrez-Locquémeau, 2014.
Vues de l’exposition Carré Central à la Galerie du Dourven, Trédrez-Locquémeau, 2014.
Une photographie du parc du Dourven associée à une photographie d’une mosaïque murale prélevée dans l’espace urbain de Lannion sont dimensionnées à l’échelle des murs de l’espace d’exposition. Bien qu’évoquant un panorama ou un trompe-l’oeil, les représentations invitent à l’ajustement de notre regard. Nous cherchons les jeux d’échelle, les relations entre les motifs et leur contexte. Quelle proximité ou quel écart s’instaure-t-il entre le motif et sa représentation?
Dès son entrée dans le parc, le promeneur est déjà dans un dispositif visuel construit par l’association des verticales produites par les arbres et de l’horizon du paysage maritime. Dans les intervalles des troncs, se composent autant de points de vue. La véranda de la galerie cadre un paysage qui se modifie en fonction de la déambulation du spectateur. C’est alors que la représentation photographique du paysage d’Hervé Beurel agit en écho. Le spectateur prend physiquement place devant et dans l’image, en prend la mesure par le corps inscrit dans l’architecture
et non plus seulement par le regard.
Associées à la photographie, des vitrines transparentes et vides, mobilier muséographique de la galerie du Dourven, agissent comme contrepoint à la platitude de l’image. L’objet est un espace où s’affirme un choix, l’organisation d’une démonstration. Paradoxalement, cet objet réel va dans le sens de l’inexistant ; il a lui aussi une fonction de cadre, focalise différents moments de lecture, ici il met le corps à distance et bloque une image qui fuit de toute part.
Vues de l’exposition Carré Central à la Galerie du Dourven, Trédrez-Locquémeau, 2014.
L’ensemble des expositions présentées à la galerie du Dourven fait l’objet d’une documentation photographique confiée à des photographes professionnels. Depuis une vingtaine d’année, Hervé Beurel contribue à la constitution de ces archives. L’artiste a choisi de présenter une sélection de photographies dont il est l’auteur. Sur un écran défile un diaporama de plus de trois cents images en noir et blanc. L’artiste porte son attention sur le cadre de ces expositions, les murs et leurs multiples modifications et l’apparition régulière du paysage (reflets, ouvertures) dans l’image. L’artiste ne veut pas désigner ce qui s’est passé dans ce lieu mais en signifier les mutations et l’importance du contexte au gré des expositions.
Archétype de représentation de paysage de bord de mer, la mosaïque du centre commercial de Ker Huel à Lannion, représente un phare et quatre personnages. Les protocoles de prise de vue et la présentation de ce motif photographié renforcent l’adéquation du sujet et de son lieu d’exposition. Le mode de présentation rend visible cette interaction du décoratif, du photographique et du pictural.
« Les références à l’espace pictural, format, frontalité, platitude, neutralité, caractérisent le vocabulaire formel. La plupart de mes travaux jouent de la coïncidence entre objet et image. Autrement dit, la planéité des objets photographiés se superpose et se confond à celle du support photographique comme s’il s’agissait d’une substitution. En jouant du médium, de ses capacités à la fois descriptives et illusionnistes, j’obtiens une photographie
ayant acquis une forte identité d’objet pour une perception immédiate, quasi-tactile. »1
La vidéo à l’entrée de la galerie donne à voir par le mouvement panoramique d’une caméra, le contexte urbain immédiat d’une mosaïque. Notre regard se déplace d’un environnement à l’autre sans hiérarchie, d’un parc paysager à une périphérie urbaine, d’un intérieur à un extérieur. Chaque espace et chaque architecture induisent une époque, des comportements, des relations sociales, des centres d’intérêts distincts. La galerie d’art se situe dans un parc, archétype de nos représentations
paysagères. De même, ce quartier commercial (Ker huel signifie en breton, lieu situé sur une hauteur) est un archétype architectural et paysager des périphéries urbaines.
Ainsi, cette installation in situ interroge deux histoires de la représentation. L’une est liée à l’origine de la photographie qui s’inscrit dès son apparition dans le projet de la peinture romantique du XIXème dont le peintre allemand David Gaspard Friedrich3 serait l’une des figures de proue. L’autre apparaît au début du XXème siècle et tend vers la représentation abstraite des formes de la nature. La juxtaposition de ces deux photographies et de ces deux contextes, un quartier urbain et un parc paysager, opère,une augmentation et une multiplication du sens de chacune de ces histoires de la représentation.
Enfin, deux dessins représentent le seul point de vue extérieur des deux lieux convoqués. Leur emplacement au coeur de l’exposition pourrait suggérer qu’ils sont à l’origine du projet. Dans les faits, ils se situent au terme du processus créatif. L’intention de l’exposition ne naît pas du dessin, mais des photographies d’exposition que l’artiste a réalisées à la galerie du Dourven ces dernières années. Comment naît le sens d’un travail ? Quel place tient le dessin dans le
processus créatif ? La photographie peut-elle exister seule ? Doit-elle désigner le contexte ou le montrer, être comme
un phare qui éclaire le contexte ?
Photos : Hervé Beurel