Les Frères Ripoulain
C’est une fratrie élargie qui se présente sous ce nom déjà entendu. Ils sont deux, David Renault et Mathieu Tremblin, à repasser une couche sur la marque déposée et toujours active du fabricant de peinture plus que centenaire, une réappropriation déjà opérée par le collectif des années 1980, les Frères Ripoulin, un hommage. Avec une lettre de plus et une rue qui s’est ensauvagée depuis, qui a produit les « quartiers » et vu fleurir le graffiti, ces Ripoulain-là ont associé leur énergie et leur complémentarité dans des pratiques diverses et multidirectionnelles, qui s’inscrivent dans l’espace public, la rue, la ville, sous forme d’intervention, voire même d’activisme. Entre culture du graffiti et actions furtives dans le tissu urbain, avec un goût pour la provocation, pour le jeu et la performance (au sens artistique, mais pas seulement), fébriles et informés, ils travaillent volontiers dans les espaces incertains, avec un goût pour les angles morts des pratiques sociales infimes, pauvres, pour le rebut et les épaves, pour les micro- désastres de l’ordinaire et l’invention anonyme ou collective. Ils parlent « d’expérimenter le territoire de la ville, », de « vandalisme créatif », du « frisson du réel ». Ils empruntent aux pratiques urbaines, à la marche, à l’arpentage, à la dérive urbaine, s’adonnent au tag et à son dépassement, en toute connaissance de son histoire, de son inventivité, de ses limites. Ainsi quand, ironie à degré multiple, ils recouvrent signes et signatures trouvés pour les repeindre en typos régulières, ou quand ils expérimentent les outils, la bombe, ou mieux, l’extincteur adapté, à l’efficacité redoutable, pied de nez au Kärcher.
À la sauvagerie initiale, ils ajoutent un savoir- faire, une curiosité de sociologues-enquêteurs, et une culture de l’art comme il faut. Ils ne rechignent pas à l’exposition, pratiquent diverses formes d’édition (sérigraphie, impression ; placard, affichette), produisent parfois des objets, bricolés, des dispositifs qui le plus souvent résistent par leur nature même au devenir de fétiche marchand. Ils revendiquent volontiers l’abandon de l’objet comme un destin artistique, voué à l’invisibilité. Les Frères Ripoulain existent en revanche sur Internet, ils documentent et argumentent en produisant une mémoire des travaux. À l’opposé du cynisme, ils produisent une critique en acte, parfois un appel à la désobéissance, civique ou poétique, en cultivant la logique du détail, du micro-événement, du détournement. La diversité de leur approche tient aux démarches personnelles de chacun d’eux, qui gardent en parallèle leur propre pratique, volontiers sonore, du côté du bruit, pour David Renault, photographique et discursive pour Mathieu Tremblin. L’association démultiplie les moyens, et le principe collectif renvoie, non tant à un anonymat illusoire qu’au principe social lui-même. Vidéo-documentation, photo-constat, pièce à conviction et peinture murale « en arrière-plan », les Ripoulain ramènent à l’écurie le parfum urbain, parfois aigre mais libérateur.