L'EXPANSION DES CHOSES INFINIES
Brèches incisives, cassures sémantiques, creux effrayants et parfois même violents, les yeux évidés de certains personnages du Scénario de l’inéluctable1
plus que l’absence d’un regard mettent en évidence l’efficience d’une vision. L’acuité visuelle de Marc Geneix est faite d’une mécanique complexe et introspective, elle est le moteur d’une entreprise de reformulation où des images collectées par l’artiste vont être remodelées, transformées, voir effacées. Si l’écriture et le langage ont longtemps été utiles à l’élaboration de sa démarche2
, il semble que les formes que Marc Geneix livrent aujourd’hui au public se simplifient et se déchargent également de leur gravité politique pour acquérir un nouveau poids.
Quelque chose d’émouvant a progressivement pris le pas, à l’exemple de La peau3
à la fin de laquelle ne subsiste qu’un lambeau. Déjà dans la série des témoins4
, les regards cernés d’une surface recouverte de noir semblaient s’extraire du néant dans une entreprise lazarienne5
. Il ne faudrait pourtant pas limiter le travail à l’intelligence de cette part d’ombre car l’émotion ressentie vient également de l’extrême ambivalence de ce qui nous est présenté. L’ambigüité et une certaine confusion semblent être manipulées avec soin pour que le contour de chaque œuvre puisse rester flou et capable de faire basculer leur lecture.
Ces possibles basculements sont sans doute une des principales préoccupations de l’artiste, ils se fabriquent au bénéfice d’une archéologie du quotidien : « Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune n’a péri »6
. Au contraire même, elles communiquent entre elles par le biais d’un réseau aux canalisations souterraines qu’exploite habilement Marc Geneix. L’impertinence des combinaisons formelles où s’associent par exemple l’image d’un verre et celle d’une bouche d’égout n’a d’égale que la qualité poétique qui s’en dégage. Les œuvres de Marc Geneix sont multivoques et c’est sans doute pour cela qu’elles semblent nous observer avec des regards si familiers.
- Le scénario de l’inéluctable, 2009 ↩
- Je pense notamment à Monde, voir l’illustration ci-jointe. ↩
- La peau, journal effacé, 2009. ↩
- Les témoins, série, 2009. ↩
- Pour les chrétiens Lazare fut ressuscité, son image hanta la littérature de Zola comme une figure d’une résistance face à la mort. ↩
- Les paradis artificiels, Charles Baudelaire, chap. VIII Vision d’oxford, le palimpseste ↩