Souffle
Souffle, 2015
Ballons de foot usagés, fil de coton câblé. Environ 130 cm de diamètre.
Projet Secondes Vies initié conjointement par le Ministère de la Culture et le Ministère des Sports.
Co-production Fond de dotation Foot d’elles. Musée Roland Garros, Paris.
Nikolas Fouré © Adagp, Paris
La trajectoire de la balle.
Si Souffle, la pièce que Nikolas Fouré conçoit en 2015, trouve son origine dans le principe de constitution du ballon de football, elle s’en échappe bien vite pour acquérir sa singulière autonomie. Ce principe réside dans le complexe agencement d’hexagones et de pentagones, patiemment cousus afin d’accéder à la perfection de la sphère. Ces coutures savantes sont aussi le premier rempart à l’abri duquel l’air se tient, prisonnier d’une seconde épaisseur étanche, jadis en caoutchouc, aujourd’hui en matière synthétique. Ainsi le ballon tient sa valeur d’un alliage qu’on pourrait désigner par ce que, faute de mieux, nous appellerons « un arrondi d’air ». C’est une perfection comme le dôme géodésique popularisé par Richard Buckminster Fuller : une utopie.
Le traitement auquel Nikolas Fouré soumet la perfection du ballon et par quoi celui-ci devient une œuvre d’art ne laisse pas d’étonner. Mario Merz, en son temps, avait rabattu la sphère sur les apparences de l’architecture, mais, au rebours de l’idéalité de Buckminster Fuller, il l’avait arrimée aux figures iconiques de l’abri. D’un côté, Fouré pervertit la rotondité en la ramenant à cette mollesse indécise benoitement soclée, faisant le dos rond dans son animalité silencieuse. De l’autre, il en exalte la sophistication tant par l’augmentation de son échelle que par la vague évocation du diamant. Et à quiconque s’en approche, elle se donnera dans le foisonnement multicolore que procurent les dessous de la couture, cette fonctionnalité portée par les petites mains et qui se mue en broderie. Car il a fallu recoudre un à un ces ballons retournés, ces dessous, en effet, entre préciosité et rudesse, marqués de l’expérience de ceux-là qui ont servi. Mais au final, et c’est ce qui confère toute sa valeur à ce qu’il faut bien désormais nommer sculpture, rien de l’infinie complexité du contexte footballistique ne s’est perdue en route. Au contraire, c’est bien par la déformation des motifs que l’inconscient formel d’une pratique aussi universelle trouve à se dévoiler, à s’ériger dans l’indécision de son apparence, renvoyant par là à son antique imperfection, à la protohistoire d’un ballon dont elle postule l’un des possibles devenirs.
Jean-Marc Huitorel, Mars 2019