C'est encore loin
Hangar, charpente bois, tôles laquées, paille et réplique d'une Lincoln Continental éch.1 en bois.
16,5 x 9 x 4,50 m.
Production Le Lieu Unique, Nantes, 2011.
Photo : Pascal Rivet
C’EST ENCORE LOIN
Figure atypique de l’art contemporain français, Pascal Rivet a toujours célébré le dialogue entre art et culture populaire : après s’être immergé dans l’univers du sport, il scrute le monde professionnel et ses icônes automobiles, à la fois urbaines et rurales.
Voiture Darty, mobylettes de livreurs de pizza, fourgon Brink’s, moissonneuse-batteuse ou tracteur… Autant de véhicules utilitaires, construits à l’échelle 1 en bois peint aux couleurs des originaux, qui interrogent obstinément le geste de reproduction.
Que voit-on ? À distance, des répliques assez bluffantes, qui saisissent par leur faculté à faire image. De près, une indéniable poésie du bricolage et un savoir-faire empirique qui s’inscrit dans le temps. L’art de Pascal Rivet opère dans cet entre-deux : entre monde du travail et champ de l’art, entre image et objet, entre modèle industriel et processus artisanal.
En 2010, Pascal Rivet expose à la Chapelle du Genêteil1
trois imposants tracteurs en bois brut, non peint. La disparition de la couleur modifie l’approche de l’oeuvre : moins illusionniste, elle se densifie. Demeure l’étrangeté radicale de ces monstres industriels reproduits dans les moindres détails, sculptures grandeur nature pour manif d’agriculteurs fantômes.
Avec C’EST ENCORE LOIN, Pascal Rivet poursuit cette mise à l’épreuve du réel en construisant la réplique en contre-plaqué d’une Lincoln Continental des années 60. Attention : pas de fétichisme de la part de l’artiste lorsqu’il choisit cette voiture mythique. Il se concentre davantage sur l’idée de paysage et de mouvement, de point de vue.
Pascal Rivet se laisse également séduire par le potentiel fictionnel de l’objet. Préméditer le crash, tel serait le fantasme de l’artiste lorsqu’il orchestre la collision visuelle entre cette Lincoln de bois et un vaste hangar agricole, archétype d’une architecture rurale mondialisée. Cette bâtisse s’offre au regard comme un dessin projeté dans l’espace : un décor ouvert, aussi énigmatique que le véhicule auquel il se confronte… Marquée par cette esthétique du télescopage, l’exposition se lit alors comme un scénario en suspens, onirique et violent.
Entre bricolage et pause métaphysique.
Eva Prouteau, critique d’art
- L’exposition s’intitulait Procession, Carré de Château-Gontier, Chapelle du Genêteil, du 9 janvier au 7 mars 2010. ↩