Dartymobile
Réplique d’une camionnette de livraison Darty type Renault Express éch. 1, glycéro sur voliges de sapin et bois divers.
250 x 140 x 180 cm. Collection FNAC.
Dartymobile, 2002,
Rue Jean Jaurès à Brest. Vidéo, durée 5' 51 sec. Collection FNAC.
Vues d'atelier
Le contrat de confiance, exposition à la Galerie du frac Languedoc-Roussillon à Montpellier, 2003.
Dartymobile, 2002,
une nuit d'art-venture, Place St Sulpice à Paris, sur une invitation de Jacques Villeglé.
Valeurs Croisées, exposition, 1ère Biennale d'art contemporain de Rennes, 2008.
Photo : P. Rivet
DÉPLACEMENTS
Depuis 2001, Pascal Rivet articule sa démarche autour du travail. Dans la continuité de ses recherches antérieures, où il pénétrait la sphère sportive en incarnant les identités de champions pour en faire ressortir les attributs d’icônes médiatiques, et opérait ainsi dans la relation ténue entre le réel et son simulacre, il aborde cette fois l’identité dans le monde professionnel.
Mais plutôt que d’endosser le rôle du boucher, du transporteur de fonds, du livreur du pizza, du réparateur Darty ou encore de l’agriculteur, c’est aux vecteurs machiniques de ces métiers qu’il s’intéresse : leurs Véhicules. Reproduire à l’identique le camion de la Boucherie Meneur, un Fourgon Brink’s, des mobylettes Fox de Domino’s Pizza, une Dartymobile ou un tracteur IH constitue pour l’artiste le moyen de pénétrer dans l’univers formel et symbolique de l’activité professionnelle sans commettre l’imposture de l’artiste-employé qu’il n’aurait ni voulu, ni pu devenir.
Ici, le travail est abordé sous l’angle de son déplacement, selon trois conjonctions différentes entre les deux termes. Tout d’abord, c’est le travail comme déplacement qui est visé, le transport du corps comme corps travaillant. En effet, qu’il livre des pizzas ou qu’il laboure un champ, le corps est mis en activité par le fait même d’être porté d’un point à un autre. Ce n’est pas un hasard si Rivet a choisi ce registre des professions mobiles, qui lui donne matière à construire son propos d’artiste, depuis toujours nourri par la force signifiante du déplacement : amener une chose dans le contexte d’existence d’une autre et, ce faisant, la transformer et en exprimer le sens.
Il s’agit donc, en second lieu, du déplacement du travail dans le champ de la représentation, en prélevant un objet dans la réalité pour le reconstruire à l’identique. Cette imitation relève moins d’une volonté de plagier ou de créer l’illusion que d’un emprunt au réel de ce qui peut faire signe. Un emprunt qui - comme on suit un chemin - s’entend comme expérience d’un univers à découvrir. Rivet reprend les formes du réel - les découpes et mensurations des vrais véhicules photographiés dans la rue, à la ferme - qu’il transpose dans le champ de l’art, en les reproduisant à l’aide de voliges en bois, de vis et de peinture. Un traitement brut qui ne laisse pas d’ambiguïté quand au sens de l’opération : nous sommes bien là devant une image du réel, et non dans le réel lui-même.
Qui dit emprunt dit aussi restitution. C’est le troisième déplacement, celui de l’objet-image, de l’oeuvre donc, dans le champ du travail : le tracteur IH photographié dans la cour de ferme, couvé du regard par les agriculteurs, les mobylettes Fox garées dans la rue, la Boucherie Meneur attendant le client sur un marché, etc. Un dernier mouvement qui vient boucler de façon radicale l’interrogation nourrie par Rivet du lien entre l’homme et l’outil, entre la forme et la fonction, entre l’art et la vie.
Avec la Dartymobile présentée à Rennes, comme avec les autres Véhicules, Pascal Rivet développe un paradoxe puissant: les formes qu’il construit, si elles imitent la réalité, n’en sont pas moins entièrement neuves par leur existence même. Les côtoyer suppose d’abandonner les repères familiers et de se laisser prendre par leur potentiel d’expérimentation, qui rend possible le questionnement à l’endroit même - le monde du travail - où l’affirmation est de mise, celle de l’efficacité et du résultat.
Raphaële Jeune, Déplacements, catalogue Valeurs Croisées, Biennale de Rennes, 2008.