Exposition au CIAC de Pont-Aven.
Au croisement de ses recherches philosophiques, psychanalytiques, littéraires, et de son intérêt pour l’histoire de l’art, l’artiste élabore une œuvre qui explore la mémoire, la condition des femmes ou encore la notion de propriété. Son langage plastique, anachronique et raffiné, recourt, entre autre, à la broderie, la peausserie, la dorure, la naturalisation ou encore à la calligraphie. Au CIAC, l’exposition propose un ensemble d’œuvres récentes centrées sur la question de l’éducation.
Il serait vain de tenter une classification, de vouloir assigner des propos définitifs à l’œuvre de Sharon Kivland, artiste et écrivaine née en Allemagne, vivant à Londres et en Bretagne. Non que cette œuvre soit hermétique ou obscure, bien au contraire, mais le bloc des connaissances préexistant à l’aboutissement est si dense que le moindre fil tiré de l’écheveau entraîne un infini questionnement. Tout au moins, pouvons-nous aborder ce travail en considérant la notion de «déplacements», qu’il s’agisse d’errance (She was walking about in a town which she did not know s’intitule l’une de ses oeuvres), de détours, de passages ou bien de métaphores, d’ellipses et de métonymies. Ses déplacements sont fertiles en rencontres : de Laclos à La Bruyère, de Madame de la Fayette à Rousseau, de Tocqueville à Danton, de Marx à Freud et Lacan (Sharon Kivland est chercheuse au Center for Freudian Analysis and Research à Londres), de Baudelaire à Robbe-Grillet, toutes ces confrontations sont prétexte à mettre en scène les sujets qui lui importent : « le statut de la femme tel que le désigne la logique patriarcale du christianisme (la mère, la vierge et la putain) »*. Aucune arrogance ne sourd de son érudition mais plutôt une jubilation à faire partager ses connaissances. On apprend, par exemple, que le mot silhouette vient de Etienne de Silhouette, contrôleur des finances sous Louis XV, si impopulaire que ses ennemis donnèrent son nom à des dessins le représentant de quelques traits. C’est dire qu’elle joue avec les sens, rebondit d’une époque à l’autre, s’appuie sur refoulement et lapsus pour illustrer une forme de transgression qui lui est propre, opposant toujours le raffinement à la violence. Il suffit, d’ailleurs, d’observer l’élégance et la délicatesse de ses œuvres et éditions pour vérifier qu’elle dénonce tout autant la vulgarité. Qu’elle fasse appel à la photographie, à la broderie, aux mots ou aux installations, son univers demeure celui de l’humanisme tel qu’on le concevait à la Renaissance. Il s’agit tout simplement, pour Sharon Kivland de relever la dignité de l’esprit humain. Ce qui n’exclut évidemment pas l’ironie dont elle use particulièrement pour les titres de ses œuvres, affectionnant un possessif d’appartenance et d’appropriation. Ainsi de Mes Négligées, Ma parure, Mes Mariannes, Mes Maries, Ma Nana huit fois, Mes devises, Mon abécédaire… qui lui permettent de créer un décalage sémantique et d’insister sur les symboles fétichistes qui constituent souvent les figures du désir. Images et mots indissociables, revenant comme une obsession d’ouvertures : fenêtres, jambes, façades, visages. C’est en passante et passeuse que Sharon Kivland tient son rôle d’artiste. Elle avance, telle la Gradiva de Freud, de sa démarche inimitable.
Quels seraient les meilleurs moyens de perfectionner l’éducation des femmes ? En ne fuyant pas les réflexions sur l’esclavage, le travail, la révolution et le désir, nous dit-elle au Centre International d’Art Contemporain de Pont-Aven.
*Jean-Marc Huitorel in La Valeur d’Echange.