Suçons
Demande de suçons, 1999,
Photographies, 120 x 160 cm / 40 x 60 cm (x2)
Tirages argentiques contrecollés sur dibond
Collection FRAC Haute-Normandie, collection banque NSMD et sa filialle MSN Vie
Photo : Benoît Lecarpentier
La pratique artistique de Christelle Familiari se fonde sur l’investissement franche et sincère des relations humaines. L’artiste y parvient par le biais d’un acte en apparence anodin : le tricot ou le crochet. Prendre le temps de confectionner seule des sous-vêtements, robes, cagoules, gants, combinaisons, couvertures, c’est se préparer à l’élan vers l’autre, c’est un temps privilégié du désir… Les vêtements de Christelle Familiari n’assument certainement pas une fonction sociale d’apparat. On pourrait penser que les habits de Christelle Familiari ont pour fonction première de recouvrir le corps et en quelque sorte, de servir de bouclier au contact physique et affectif entre deux personnes. Pourtant, chaque vêtement tricoté par les soins de l’artiste a une véritable valeur d’objet transitionnel. En effet, après le temps de la confection, vient celui de la performance. Non pas l’exhibition spectaculaire de l’objet et du corps de l’artiste, mais tout simplement une proposition et une offrande adressée par l’artiste au visiteur de se risquer au lien relationnel. Enfin, une fois la performance réalisée, l’objet n’est plus à exposer comme relique ou oeuvre d’art : il disparaît ou, comme récemment, il est confectionné à nouveau et diffusé pour l’usage de tout un chacun.
Considérons alors des vêtements dans lesquels l’artiste s’y enferme partiellement ou entièrement, telle cette combinaison avec fermeture-éclair de 1997 utilisée pour une performance au cours de laquelle Christelle Familiari s’était assise au sol dans une pièce sombre. Un à un, les visiteurs ont pénétré cet espace d’intimité, tentant de deviner et d’appréhender cette masse informe et vivante, lui adressant ou non la parole, la touchant ou évitant le contact. Ou encore cette robe avec cagoule intitulée Demande de suçons : Christellle Familiari s’offre au visiteur en se recouvrant au préalable d’une robe rouge et d’une cagoule tricotées main, vêtements qui ne laisseront à découvert que ses épaules et son cou. Assise dans l’espace, l’artiste attend une réponse du visiteur à une ” Prière de toucher ” avec sa bouche. Au spectateur alors de mettre à nu son désir d’approcher l’artiste et de l’embrasser très fort… Les rapports d’exposition de l’oeuvre et de l’artiste sont ainsi retournés vers le visiteur qui est invité à abandonner sa place rassurante de spectateur.
Il est ensuite à remarquer que chaque vêtement tricoté par Christelle Familiari est très souvent doté d’une ouverture : son slip contient un trou pour permettre le passage d’une main (Slip à masturbation), ses cagoules individuelles permettent de se montrer en se cachant pour adopter des attidudes loufoques comme souffler dans un ballon (Cagoule de fête, 1999).
Enfin, les vêtements peuvent ménager un lien et une ouverture pour permettre l’accouplement réel ou symbolique entre deux personnes: paire de gants unissant deux mains différentes (Le bras de fer, 1999), cagoule obligeant au bouche à bouche entre deux personnes (Cagoule pour amoureux, 1999), soutien-gorge prolongé d’une ouverture à chaque sein et autorisant la caresse (Soutien-gorge, 1999), slip favorisant un acte sexuel ( Slip à pénétration, 1999).
Tous les habits, performances et vidéos de l’artiste ouvrent sur des déclinaisons infinies et complexes du lien et du désir. Il n’y a aucune prétention démagogique à l’intéractivité conviviale et sirupeuse. Il y a d’abord un besoin vital de confronter chacun à sa propre solitude, à son désir de l’autre avec toutes les prises de risque et contradictions que cela engage. L’objet transitionel est tout à la fois signe et comblement d’un manque, affirmation d’une solitude douloureuse ou d’un lien indéfectible, déclinaison d’un plaisir du contact ou d’une crainte de la rupture et de la disparition. Humoristiques, tendres, érotiques, tous les actes de Christelle Familiari ne prétendent pas au scandale mais au respect et à la sincérité de l’individu et de la relation de couple. Voir à travers les mailles des vêtements de Christelle Familiari c’est d’abord toucher aux points sensibles du lien ou de son absence.
Larys Frogier, La Criée centre d’art contemporain, Rennes, 1999
Objets en laine (cagoule pour amoureux), 1998-2002,
Photo : Laurent Duthion
© Adagp et l’artiste