Eva
Taulois

25.04.2024

La Grande Table

Galerie des Franciscains, sur l'invitation de l'école d'arts de la ville de Saint-Nazaire
Vues de l’exposition
Photo : Eva Taulois

Discussion entre Edwige Fontaine* et Eva Taulois, à Nantes, le 31 janvier 2017.

EF :
Eva, vous êtes diplômée de l’école d’arts de Brest depuis 2007, et à l’époque vous étiez inscrite en option Design, avec l’intention d’entamer un processus de décloisonnement entre plusieurs disciplines, les beaux-arts et les arts appliqués. Vous avez décidé de mener une recherche plastique qui d’emblée allait entretenir une ambigüit. avec les statuts conférés à vos objets. Pouvez-vous nous dire comment va se manifester ce mélange des influences qui distingue votre travail ?

ET :
L’exposition s’appelle LA GRANDE TABLE. Je l’envisage comme un espace de travail et un espace de vie. J’ai donc dessiné une table à l’échelle de la nef, d’abord parce que c’est un objet très important dans la vie de tous les jours, on y mange, on y travaille, on y parle. Autour d’une table, circulent des idées et circulent des corps. J’aime l’idée que faire et fabriquer dialoguent avec être et habiter. J’investirai la nef et les alcôves, en m’attachant à la circulation, en cadençant les espaces entre mobilité et repos.

EF :
De quelle manière allez-vous opérer pour rendre visible ce processus ?

ET :
LA GRANDE TABLE est pensée comme une surélévation du sol, à l’image des planchers de voilerie, d’une estrade ou d’une scène, mais également d’un socle. L’objet est intentionnellement hybride. Il se situe entre un espace de travail, là où se font et se fabriquent des choses, et un espace scénique, là où se montrent ces choses. On pourra donc être assis autour de cette table ou bien marcher dessus, se mettre en condition de travail ou de contemplation. J’ai réfléchi à une circulation continue entre des activités séparées, et des états dissociés. La relation au temps sera très différente sur la table et dans les alcôves.

EF :
Comment s’articule cette dichotomie ?

ET :
Les alcôves vont permettre de générer des mini accrochages de pièces déjà existantes, elles seront le lieu « sanctuarisé », muséifié. Le mouvement sera « cristallisé » sur le plan de travail. L’exposition va bouger pendant les trois semaines d’ouverture, elle n’aura pas toujours la même morphologie. Je participerai à cette transformation en venant travailler régulièrement, mais je ne serai pas seule actrice de ces variations.

EF :
Vous envisagez LA GRANDE TABLE comme le lieu de la mise en scène d’objets dont la fabrication serait en cours. Quelle relation votre oeuvre entretient avec la performance ?

ET :
J’invite l’artiste Camille Tsvetoukhine afin de réaliser une conférence /performance ensemble. Le lieu de l’action sera LA GRANDE TABLE, tandis que les alcôves vont dialoguer avec cette « scène », en présentant des oeuvres qui ne seront pas activées mais qui en effet entretiennent une relation muette avec la performance. Je suis fascinée par la capacité des objets à entretenir un double langage, à être intrinsèquement pluriels.

EF :
Vous formulez des relations singulières entre les objets, les couleurs, les formes et le sens que cela leur confère. Vos sculptures pourraient être comparées à des accessoires de scènes à venir ou en train de s’écrire.

ET :
Quel est le potentiel narratif des sculptures si elles sont déplacées ? Comment déplacer des choses déjà présentes, et interagir avec elles ? Nous participerons tous à la mise en scène mais mon rôle de chef d’orchestre s’efface progressivement au profit d’une posture plus pédagogique ; c’est le contexte même de l’école qui m’amène à prendre cette position. Beaucoup d’ateliers vont être menés par les équipes enseignantes pendant la durée de l’exposition. LA GRANDE TABLE est imaginée comme une annexe, un nouvel outil de production et d’observation pour les élèves de l’école d’arts plastiques. Je laisse la porte ouverte. Ils pourront profiter de ma présence sur place, pour échanger, partager des expériences et converser autour de pratiques artistiques qui nous animent. Je souhaite énoncer le fait qu’une production artistique n’est pas nécessairement figée, qu’elle n’a pas forcément la même forme selon le contexte de l’exposition dans laquelle elle est montrée.

*Edwige Fontaine vit et travaille à Nantes, elle est co-directrice artistique des structures de production et de diffusion des arts visuels, Tripode et Room Service AAC


CONCRET JUNCTION EXPERIMENT

Une performance / conférence d’Eva Taulois et Camille Tsvetoukhine.
Dans le cadre de l’exposition d’Eva Taulois La grande table, Galerie des Franciscains, Saint-Nazaire, le 10 mars 2017. 

Vues de la performance
Photo : Pierre Lucas

C’est à travers plusieurs travaux d’artistes (Josef Bauer, Guy de Cointet, Hedwig Houben, Helio Oiticica, Franz West et Ewin Wurm) et de leurs pratiques respectives, qu’Eva Taulois et Camille Tsvetoukhine aborderont de manière performative leur intérêt commun pour la sculpture activée. Où comment, l’objet d’art devient une expérience pour le spectateur et son créateur.

« Ici, sur cette grande table se trouve des pièces, celles d’Eva Taulois.
Nous sommes entourés par des sculptures, par des peintures, par un dispositif singulier.
Quelle relation entretenons-nous face à ces œuvres ?
Nous avons une envie et un intérêt commun avec Eva.
Nous sommes toutes les deux artistes et je pense, si je me permets de parler pour nous deux que nous nous interrogeons vis-à-vis du rapport actif que l’on peut générer face à nos pièces.
Afin d’éviter que celles-ci ne restent figées sur une surface, dans des stockages, nous interrogeons notre engagement à les faire vivre comme des extensions de notre corps.
Le corps face à ces extrémités.
Le spectateur comme agent actif.
Vivre une expérience particulière.
Ne plus être passif face à une oeuvre, mais en être le chef d’orchestre.
Il s’agit d’une partition à suivre, dont nous sommes les interprètes.
C O N C R E T E
J U N C T I O N
E X P E R I M E N T »

Extrait de la performance Concret Junction Experiment.

© Adagp, Paris