L'ESPACE DES PHASES
« L’espace des phases d’un système est l’espace mathématique dans lequel tous les états possibles du système sont représentés »
Un espace des phases permet la représentation de l’évolution de systèmes pendant une durée tous leurs états successifs sont simultanément accessibles au regard. Pour sa première exposition personnelle à Paris, Gabrielle Herveet transforme la Galerie du Haut-pavé en un « espace des phases » dans lequel ses pièces, sculptures, dessins et calendriers jouent de métamorphoses, de mythologies et de mathématiques. Elle propose un ensemble onirique et sensible, entre approche scientifique, référence archéologique et résidus de paysages réels ou imaginaires.
Le rivage, lieu primordial
Gabrielle Herveet vit au bord du Trieux, rivière de Bretagne. Le rivage, espace primordial de sa vie comme de son travail, est vu comme une ruine perpétuelle, un état de présent toujours naissant et se recomposant. L’ensemble présenté ici est issu de milliers de promenades, de quêtes, de rêves et de baignades et présente les résultats de son lien puissant et quotidien à l’estuaire jouxtant son atelier.
L’espace des phases est une exposition de résidus : de rivages, de regards, de matériaux laissés par le fleuve. Elle pose la question du reste et du souvenir, de la persistance des objets, des symboles, et des connaissances à travers les âges. Gabrielle Herveet aime « ouvrir le temps », en décortiquer les mécanismes, les mettre en forme et les donner à voir. Patiemment, à longueur de répétitions, elle questionne les processus lents et naturels qui font notre monde, sa fragilité comme sa permanence.
La Seine et Notre-Dame
L’artiste pense toujours ses expositions en regard d’un environnement, en écho à celui-ci.
Ici, le paysage de la galerie est composé de deux entité gigantesques et multi-séculaires : Notre Dame de Paris et le fleuve Seine.
La Seine, un fleuve ancien, qui un jour fut sauvage, est un sablier liquide. Il est mécanique de temps, produit, déplace, érode, fait s’accumuler. Notre-Dame de Paris est une immense structure anthropique, composée de résidus de paysages ses pierres, ses plombs, ses bois et ses silices ont tous été constituant d’espaces naturels. Ils sont réagencés mais parlent de leurs agrégations et de l’histoire de leurs apparitions. En regard de ces deux entités qui mesurent et comptent le temps et ses divisions depuis des siècles, Gabrielle Herveet propose une exposition où chaque pièce montre un morceau de la flèche du temps.
Calendrier et espaces communs
Nos représentation du temps sont issues d’une longue histoire, mêlant phénomènes naturels, astronomiques et mathématiques. Les calendriers en sont le résultat, ce sont des faits de civilisation qui sédimentent coutumes, croyances et usages. Ce sont aussi des formes symboliques qui permettent à leurs “habitants temporels” de faire société, de se déplacer dans un temps commun comme il est possible de le faire dans l’espace.
Les pièces-calendriers de Gabrielle Herveet permettent de se projeter dans le passé et dans le futur, tout en se situant dans notre présent. Elles ré-activent des cycles oubliés, des souvenirs d’astres.
L’espace des phases devient l’espace où des phénomènes naturels et répétitifs, immanents et rémanents sont mis en forme et s’activent: les rapports entre année lunaire et année solaire, la précession des équinoxes, l’érosion d’un fleuve ou la périodicité des éclipses… L’artiste fait se rassembler des millions années, des millénaires, des siècles, des décennies, des années, des minutes et des secondes.
Phases animales
Les phases animales ne sont pas absentes : la vue en coupe de la croissance d’un fleuve devient plumage d’un grand rapace, les gastéropodes positionnés sur de la soie rappellent une peau d’alligator, la branche recouverte d’ardoise semble se mouvoir comme un serpent… L’artiste joue des métamorphoses, des semblants, des attributs animaux, ailes, peau, écailles, plumes, qui sont utilisés dans des objets décoratifs ou rituels depuis des millénaires.
Entités marines ou aériennes, fusion entre minéral, animal et végétal, c’est bien de mythologies dont il est question ici : la séparation entre les ordres du monde n’est pas effective, chaque chose pouvant se transformer en une autre. Pour l’artiste, les œuvres d’art sont agencements temporaires de matière, soustraite ou empruntée à des cycles plus grands. La vie et la mort des choses comme des êtres sont latents.
Les phases de la lune et nos regards
L’espace des phases pourrait aussi être l’endroit où les phases de la lune peuvent s’accumuler, se mélanger. Ces phases lunaires, qui ne sont qu’interactions entre rayons du soleil et forme sphérique, relèvent de l’immatériel, d’une perception d’yeux humains sur un instant naturel. C’est bien ici où se trouve le lieu de la fascination de l’artiste, son moteur créatif : des perceptions qui découpent, font sens, symbolisent. Par le regard, la nature devient nombre, mesure, singularité, métronome de nos existences depuis la nuit des temps. Gabrielle Herveet réussit à nous faire approcher l’infiniment grand et le très petit, l’intime et l’univers, l’instant et le millénaire.