Pierre
Galopin

20.09.2024

Le dernier tableau

Atelier de Clémence Estève, Robin Garnier Wenisch, Guillaume Coutances et Michaël Harpin. Rennes
Salonfäheg / Le dernier tableau, 2019
Photo : Laurent Grivet
© Pierre Galopin / ADAGP, Paris
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Titre difficile à retranscrire en français, puisque sans équivalent, qui donnerait littéralement « capable du salon », comprenez « qui soit présentable » ou plus exactement « qu’on puisse présenter en société ». Donc quelque chose, quelqu’un, un objet, une œuvre ou un artiste qui soit au choix : accordable, sortable, montrable, seyant ou encore (même si dans un registre plus mesuré) tolérable, buvable, excusable, admissible, propre, satisfaisant.


Pour ce programme au long cours, Pierre Galopin a imaginé l’exposition de son travail de ces 10 dernières années (soit plus d’une centaine de peintures rigoureusement sélectionnées et affinées avec le temps : c’est à dire qui n’aient été encore cédées ou vendues, repeintes ou détruites, perdues ou cachées) en proposant aux habitants de la ville de Vern-sur-Seiche de venir choisir une toile à accrocher dans leurs lieux de résidence. À la suite de ces échanges, l’artiste, accompagné du photographe Laurent Grivet, est allé capturer l’instant de prêt de ses peintures « chez l’habitant » réalisant par le même coup une série d’images-témoins de ces dizaines d’expositions qui se seront faites en passant sous les radars pour mieux ressurgir dans quelques temps futurs sous la forme d’une édition.


Au travers de son projet Salonfäheg, Pierre Galopin a voulu imaginer une rétrospective éclatée de son travail en envisageant les décors intimes comme autant de possibles dans lesquels une peinture pourrait exister. Choix quasi iconoclaste dans un environnement de photographies d’expositions de plus en plus standardisées, le geste rappelle les images d’une autre artiste sur un autre continent. En 1984 (année de naissance de Pierre Galopin, je ne peux m’empêcher de relever la coïncidence) Louise Lawler est invitée à prendre en photo la collection de Mr et Mme Burton Tremaine. Dans un de ses clichés, un tableau de Jackson Pollock côtoie une soupière en porcelaine qui prend à elle seule la quasi-totalité de l’image. La toile se cache derrière l’alimentaire, le dripping s’éclipse face au bec verseur, l’expressionnisme abstrait flirte avec l’objet utilitaire, la peinture et le velouté, la soupe et la croûte.


Dans les photographies de Salonfäheg, les peintures aussi côtoient divers objets, mobiliers et éléments de décorations. Parfois fondues dans le décor, elles sont capables d’en dénoter vivement, de s’extirper ou de s’acclimater, de devenir « socialement présentables » ou non, questionnant ainsi le rapport que nous entretenons aux œuvres (et plus spécifiquement à la peinture) de ce que nous percevons d’un travail en amont d’une simple (et sans doute un peu primaire) affaire de goût.

Dans le cadre de cette 4e édition d’un projet sobrement intitulé « Bâche », nous avons voulu inviter Pierre. Celui-ci a proposé qu’on installe une des toiles de notre choix dans cette maison-atelier-colocation du 15 rue Porcon de la Barbinais afin qu’il puisse poursuivre le protocole engagé dans « Salonfäheg ». L’exposition de la photographie prise s’appelle « Le dernier tableau », en référence à ce livre de Nikolaï Taraboukine qui traînait plus ou moins volontairement sur la table basse du salon. On peut y voir un clin d’œil, un constat, une déclaration, un aveu, une blague, une boulette, un message caché… C’est au fond comme s’atteler à la traduction d’un terme sans équivalent en français, comme chercher un nom à une série d’expositions, comme donner un titre à une toile.

À croire que la langue préfère circonscrire plutôt que pointer.

Aloys Schwartz