BREIZHTORYTHM
Yves Trémorin et Michèle Mahé, Bazouges-La-Pérouse, 2014
Vues de l’exposition BREIZHTORYTHM à Bazouges-La-Pérouse, 2014
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BREIZHTORYTHM
Vues d’exposition au centre d’art passerelle, Brest, 2008
Photo : Nicolas Ollier / centre d’art passerelle
Yves Trémorin, photographe, n’a de cesse d’élargir son territoire à la fois au sein du médium et au-delà du champ de la photographie.
Sa responsabilité d’artiste excède le strict territoire de l’art pour interroger celui de la société, de la politique et de la culture en général.
L’an passé, la commande à l’initiative de François Vertadier, alors directeur du Comité régional du tourisme, pour l’année de la gastronomie en Bretagne 2008, vient à point nommé dans le parcours de l’artiste pour lui susciter le développement de formes inédites à construire une autre représentation du monde, et éprouver, dans le droit fil de ses séries précédentes, certains phénomènes de perception.
L’art emprunte volontiers les véhicules propres à la diffusion de masse des images : affiches, cartes postales et désormais, nouvelles technologies de l’information. Aux fins d’élargir le territoire de l’art, les artistes de Fluxus, en particulier, ont ouvert la voie de stratégies d’infiltration et de détournement. Plus récemment, et proche de l’artiste, Gilles Mahé dont l’œuvre, inscrite « dans cette sorte de no man’s land sis à équidistance du monde de la publicité, des médias et de l’art »(1), a tenté avec humour la conquête et l’union d’espaces jusqu’alors notoirement hétérogènes.
Le projet d’Yves Trémorin, dans ce cadre précis de commande, excède la simple migration des images, d’un support vers un autre, d’un univers à l’autre. Il s’agit d’utiliser le langage spécifique de l’art pour la promotion touristique régionale, d’en faire un nouvel usage, et vérifier au passage si celui-ci est efficient dans un contexte conventionnel. Par cette invitation, le tourisme s’expose , symétriquement, à un regard décapant et sans concession, au risque de faire voler en éclat un mode de communication basé sur un euphémisme généralisé et un registre iconographique immuablement séducteur.
Pour un artiste qui a choisi de vivre en Bretagne, d’y travailler aussi, l’enjeu est considérable. Confronter sa Bretagne, c’est-à-dire la connaissance qu’il en a, la réflexion qu’il mène sur ses structures, ses mythes, ses éléments fondamentaux, à des impératifs de communication positive et universelle, à la fabrication d’un message au caractère d’attractivité, apparaît comme un contrepoint majeur à la subjectivité constitutive d’une œuvre d’art.
Le paradoxe de l’entreprise agit comme un aiguillon supplémentaire pour Yves Trémorin qui, de longue date, met à l’épreuve les clichés de la représentation, notamment à travers les genres traditionnels que sont le portrait et la nature morte, tout en questionnant sans relâche la notion d’identité.
Sans hésiter, le projet convoque les produits du terroir, d’ar goat et d’armor, que l’artiste soumet à son mode opératoire, à sa façon de « scruter la matière des choses et des êtres ».
Sur des fonds colorés - monochromes mais pas du tout neutres -, se détachent les objets cadrés serrés, l’éclairage de studio créant ombre et profondeur dans l’espace bidimensionnel de l’image. Tout, dans cette manière, contribue à la sublimation du sujet. Au pouvoir évocatoire des couleurs, l’auteur ajoute ses projections paysagères et mythiques : une galette pliée en triangle fait écho aux pierres dressées de Bretagne, le fond marron figurant le « pays des bois » ; la tranche de lard salée et torsadée dans le rôle du brise-lame de Saint-Malo se détache sur un blanc présent à la fois sur les drapeaux breton et français. Une mention spéciale pour le thème de la bouche qui, comme cela a déjà été souligné(2), traverse l’ensemble de l’œuvre et apparaît ici en hommage aux ouvrières des conserveries. Dans cette série, la bouche a un statut différent, seul fragment de corps, elle est aussi la fin ultime des autres sujets photographiques. L’artiste n’a-t-il pas dit, à propos de ses Natures mortes « tout ce que je photographie, je le mange »(3) ?
Indissociable mais ici isolé du contexte vernaculaire, chaque élément acquiert une dimension esthétique et symbolique qui déplace et renouvelle en profondeur l’appréhension des caractères identitaires de la Bretagne.
Cette commande, institutionnelle, inédite, a réactivé une réflexion aux implications prolixes, Yves Trémorin en élargissant sans cesse le propos. La jubilation de voir les images faire corps avec de nouveaux supports, prendre au mot le terme d’objets-souvenirs, synthèse de l’objet d’art, de l’art populaire et du lieu de mémoire, escompter un nouveau réseau de diffusion artistique, sont parmi quelques-unes des expériences ouvertes dans l’art contemporain auquel l’artiste, amateur de musique, imprime son rythme singulier.
Comme Gilles Mahé et Jean-Philippe Lemée, Yves Trémorin est devenu le chef d’une petite entreprise conjuguant amitiés et savoir-faire techniques, pour orchestrer des phases de travail, harmoniser des équipes de fabricateurs, faire se croiser des secteurs de production très éloignés, en un mot penser la chaîne de production depuis la conception jusqu’à la vente par correspondance et la mise en boutique.
Interroger la communication touristique par le biais d’une pratique artistique, relève d’une intuition non dénuée de courage, un refus de la segmentation de deux mondes qui rarement aujourd’hui trouvent un point de convergence . Ce que ce projet a créé, c’est un espace commun (mais n’est-ce pas la racine du mot communication ?), à l’interconnexion de l’art et du tourisme, un espace d’influence mutuel, un espace critique.
Catherine Elkar, Présentation BREIZHTORYTHM, Catalogue BREIZHTORYTHM, édition FRAC Bretagne, 2008
1- Daniel Soutif, « Rendez-vous au bar, Ghislain Mollet-Viéville, courtier en art », in Libération 10 octobre 1985
2- Christophe Domino, « Trémorin : la photo par d’autres moyens ou le tragique de la patate écrasée », in cat. Trémorin : d’ar ger. Rennes : Musée des Beaux-arts, 1999, p. 92
3-Laurent Salomé, « D’ar ger », in cat. Trémorin : d’ar ger. Rennes : Musée des Beaux-arts, 1999, p. 12
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BREIZHTORYTHM
Production : Yves Trémorin
Conception de la boutique : Michèle Mahé
Edition : Frac Bretagne
Conception graphique et coproduction : Denis Fernandez Quintanilla
Photographies : Yves Trémorin
Présentation : Catherine Elkar