Angélique
Lecaille

18.11.2019

En Touto Nika

En touto nika, 2010
Dessin à la mine de plomb 130 x 170cm

Explosion X, 2010
Dessin sà la mine de plomb, 80 x 120 cm
Collection privée

De l’actualité au mythe et vice versa

Les dessins d’Angélique Lecaille, réalisés dans de grands formats, représentent des scènes ou des paysages désertés de toute présence humaine.
Construits à partir d’images sources récupérées dans les médias, traités systématiquement en noir et blanc à la mine de plomb, au graphite ou au Rotring et déclinés en séries, ils opèrent une mutation : les scènes représentées deviennent atemporelles voire mythiques.

Du rapport à l’image

Certains dessins d’Angélique Lecaille sont clairement datés. Ils pointent des faits précis de l’actualité avant même qu’ils rentrent dans l’histoire. Ainsi la guerre en Irak, dont les images diffusées par la télévision, les journaux et Internet ont été extrêmement contrôlées, a donné lieu à Dear Spot, représentation du chien de Georges W.Bush, ou à Apache, portrait en gros plan de l’hélicoptère du même nom, deux dessins qui évoquent cette guerre sans être démonstratifs. Leur point de vue en gros plan ou en contre-plongée reprend et contient une certaine violence, celle propre aux images des médias pensées pour frapper.
L’utilisation du détourage des formes ou du texte à la manière de slogans, écrit dans des typographies gothiques particulièrement noires et chargées d’histoire, fait conjointement référence à l’affiche de propagande, à l’histoire des mouvements politiques extrêmes – de gauche comme de droite – mais aussi à la gravure, médium qu’Angélique Lecaille affectionne particulièrement. Les dessins To Kill, I kill, I killed (2005) et Touch the sky (2006) dans lesquels le texte prend une place centrale comme motif, se dégagent de faits précis pour simplement évoquer un air du temps. Qu’il y ait une référence à un événement historique ou non, le traitement en noir et blanc de ces dessins renvoi directement à l’archive, à la presse, au document.
Cet aspect graphique se retrouve dans des dessins au Rotring dans lesquels l’artiste rend la visibilité du sujet plus difficile en ajoutant un motif circulaire ou une couleur qui occultent des parties du dessin. Angélique Lecaille met ainsi une distance entre le sujet et le spectateur, comme pour le protéger d’une éventuelle violence ou d’un trop grand classicisme. Une manière de s’extraire de l’aspect documentaire contenu dans son travail de manière générale, de distinguer un dessin d’un sujet, de créer une différenciation entre la forme et le contenu.

Du dépassement de l’image

Dans une continuité des grands thèmes de l’histoire de l’art, Angélique Lecaille représente principalement des paysages comme des cieux nuageux, des montagnes rocheuses, des explosions, des ruines, des grottes, des météorites… autant de sites déserts marqués par l’action du temps et de l’homme.
Certains dessins prennent une dimension presque mystique, avec pour titres des références bibliques comme Le déluge scène I (2008), Le déluge scène III (2009), Le 7ème jour (2009), Le crépuscule des dieux (2009). D’autres abordent des cosmogonies en représentant des grottes ou des météorites (The Night’s Travellers, 2011), des sujets qui évoquent notre passé le plus obscur comme la fin de notre ère. Les représentations d’explosions ne sont pas sans faire penser à l’apocalypse. Énigmatiques par le peu d’indications qu’elles nous donnent, s’agit-il d’un accident, d’une catastrophe naturelle, d’une réelle explosion ou d’un simple nuage de fumée… ? Elles sont transcendées et esthétisées comme peuvent l’être également les allégories de scènes historiques.
Les ruines, quant à elles, portent une charge symbolique forte liée au passé, aux vestiges, à la mélancolie, à des questions existentielles… Avec Plus rien ne sera comme avant (2009), l’artiste réalise un dessin de ruines en pyrogravure sur bois. Cette technique de destruction du matériau, en parfaite adéquation avec le sujet représenté, accentue l’effet de désolation du paysage. Elle renforce la dimension physique, presque sculpturale, déjà présente dans la densité du dessin d’Angélique Lecaille.
Par le traitement de ses dessins en séries, l’artiste affine son sujet au fur et à mesure des dessins. Elle mêle parfois ses séries, ce qui lui permet de bénéficier d’un panel de combinaisons large pour ses expositions et de constituer une narration. Le 7ème jour (2009) rassemble trois dessins issus de séries différentes, un ciel nuageux, une montagne et une forêt. Présentés côte à côte ils constituent un cadre ouvert, un décor autonome où peuvent se dérouler des scènes bien étranges…

De l’atemporalité

Tout comme les scènes liées à l’actualité citées plus haut, les sources de ces paysages sont également des photographies contemporaines extraites de la presse, de magasines ou de livres. Elles servent de bases à l’artiste à partir desquelles elle compose ses dessins qui, comme un filtre, révèlent à leur tour la présence de ces images cultes particulièrement photogéniques dans les médias, témoignant de leur persistance aujourd’hui : grands horizons, montagnes agressives, grottes suintantes, forêts inquiétantes, explosions dont on se sait si elles sont naturelles ou atomiques…
Si Angélique Lecaille actualise ces sujets largement traités dans l’histoire de l’art qui persistent aujourd’hui dans les médias, leur traitement en noir et blanc les confirme en tant que sujets atemporels, génériques, difficiles à situer dans l’espace et dans le temps, qui pourraient dater d’il y a fort longtemps ou être issus de projections de science-fiction. La constance de la technique employée crée une unité entre les œuvres de l’artiste, un univers sombre et mouvementé où l’action de l’homme est masquée.
Angélique Lecaille nous propose une relation classique à ses œuvres, une contemplation intellectuelle mais aussi physique. Les grands espaces naturels représentés, les dimensions des dessins, leur technique extrêmement bien maîtrisée qui suscite l’admiration, le travail que l’on devine long et minutieux produisent chez le spectateur un effet d’absorption.

Anne Langlois
Texte écrit à l’occasion de la résidence de Angélique Lecaille à 40mcube, Rennes, en 2010.

© Adagp, Paris