L'Agence Internationale
28 janvier - 9 avril 2017
Guidée par ses rencontres avec des auto-constructeurs et des architectes, Catherine Rannou a mené une véritable enquête de terrain dans la ville. Sa recherche a d’abord consisté à recueillir des informations sur les processus de travail de certains architectes étant intervenus à Dunkerque. Elle s’est intéressée au bâtiment du Frac conçu par Lacaton & Vassal, à la passerelle de Brigit de Kosmi reliant le Frac à la plage, au plan d’urbanisme de mutation du port par Richard Rogers, ainsi qu’à des réalisations plus insolites comme la Chapelle des Marins à Loon-Plage conçue par Jérôme Soissons à partir de containers, ou la Paillote construite par Jean-Philippe Vassal, architecte du Frac, selon les principes de l’architecture vernaculaire du Niger.
Exposés sur des tables individuelles, les projets se distinguent par différentes typologies de documents installés, réinterprétés ou commentés par Catherine Rannou. Loin d’une valorisation fétichiste du document, cette présentation s’attache à l’ingénierie des projets en vue de questionner leur fabrication et leur possible utilisation. Comment ces images sont-elles fabriquées, partagées, éditées ? Quels liens entretiennent-elles avec les espaces construits ? Au mur, Philippe Ruault, photographe spécialisé dans l’architecture, a photographié l’exposition où l’on se trouve. Ses tirages ont remplacé ceux du bâtiment du Frac, mettant en abyme l’espace et sa représentation.
Sur des tables similaires à celles des architectes et mêlées à elles, sont présentées des réalisations conçues par des auto-constructeurs et revendiquées par l’Agence Internationale en tant que prototypes. Un poulailler, une friterie, du mobilier trouvé sont encodés avec le langage de l’architecte (dessins 3D, plans Autocad, animations et photos), exposés et parfois publiés (Le Grand Livre du Wood, 2014).
L’Agence Internationale, imaginée par Catherine Rannou en 2014, se présente comme une agence d’architecture collective tournée vers une écologie durable et une économie fondée sur le don, le troc et l’échange. Véritable machine à fictions, elle revisite également les expériences antérieures de Catherine Rannou, utilisant ses images collectées lors de résidences pour compléter son répertoire de formes.
L’Agence Internationale reprend ainsi à son compte les abris bricolés par des scientifiques de la station Concordia en Antarctique, le système de recyclage de la décharge d’Igloolik ainsi que le design de chaises abandonnées, leur inventant de nouveaux usages. Parmi les récents projets intégrés, l’Eco-chalet de Grande-Synthe, réalisé à partir d’une expérience éducative de réinsertion par Farid Sakta et Nabyl Karimi, incarne de manière tangible une forme d’utopie prête à se redéployer. Les Chalets de la plage des Baraques à Sangatte documentent quant à eux des cabanons de plage. Ces constructions évoquent des architectures d’urgence comme celles de La Linière à Grande-Synthe, présentées sur une table voisine. Elles sèment le trouble sur leur présence dans l’espace public, leur usage et les normes de construction auxquelles elles sont tenues. En contrepoint, une vidéo plus ancienne de Catherine Rannou intitulée Surfaces utiles (2006) montre deux enfants qui fabriquent un quartier en Lego selon des règles qui s’inventent au fil du jeu. Ce chantier met en scène la construction comme métaphore et outil d’émancipation.
Le titre de l’exposition « L’Agence Internationale, Anne, Jean-Philippe, Richard » revendique le fait d’agréger des sources éparses. Il renvoie aux architectes et à tous ceux qui ont inspiré ce projet et qui ont accepté de prêter leurs archives personnelles : Jean-Jacques Broeks, Georges Pieters, Raphaël Soissons, Maria Kralisch… Leurs documents sont incorporés, pour être modélisés ou bien pour éclairer différentes manières de faire : Tillie prouve qu’il est possible de breveter une structure habitable sans être architecte, le collectif Aman Iwan, engagé auprès des migrants de Grande-Synthe, expose la fabrication de leur revue, les auto-constructeurs de Quimper livrent les clés de leurs productions sous la forme d’un tutoriel. Ces éléments sont complétés par des documents issus des Archives de Dunkerque, par des objets glanés ou fabriqués, et par des oeuvres de la collection du Frac Nord-Pas de Calais, ces dernières faisant écho aux transformations des matériaux, des villes, et du regard porté sur eux. L’exposition s’affirme ainsi comme un objet hybride : les registres narratifs s’y croisent et l’architecture y déborde de son champ pour s’inventer de nouvelles histoires et retisser des liens entre le bricoleur, l’artiste et l’ingénieur.