L'Agence Internationale, architectures avec architectes
Au départ se trouverait le savoir de la fabrication de Jean Prouvé : construire une totalité à partir d’un assemblage, d’un détail constructif, d’un pliage et de sa résistance de forme, de ce que permet une machine ou un poste de soudure électrique, de la découverte des résines et du polyester, et du montage à sec des panneaux de cabines et maisons démontables, de stations-service. Puis l’usine Fleetguard, à Quimper, en 1981, suivie par le centre Renault de Swindon. Les poteaux – les mâts – et les poutres bidimensionnelles sont posés à l’extérieur de la façade et des câbles retiennent les poutres de la structure intérieure en suspension. Des butons ou barres de flèches transmettent les efforts au sol, sur les ancrages en béton. L’architecture high-tech anglo-saxonne domine dans les revues professionnelles et Usine Center trouve alors sa communication : Richard Rogers construira l’Usine Center de Saint-Herblain, bientôt transformée en Décathlon et multiplexe. Entre revues, critiques et architectes, un style et une communication, une humeur d’époque, s’étaient constitués et synthétisés dans un ouvrage – High-Tech: The Industrial Style and Source Book for The Home – qui mettait en valeur une activité de la seconde moitié du 20° siècle : le détournement, qui deviendra souvent pour l’Agence Internationale le “réemploi”.
Retrouver l’origine serait une fiction de plus : l’industrie et la production en général, l’architecture d’ingénieur du 19°siècle, les grandes expositions universelles, les mâts de Buckminster Fuller, la maison de Ray et Charles Eames à Pacific Palissades, la Cristal House de George Fred Keck de 1934, … et les réalisations de Jean Prouvé. Cette circulation des origines comme des matériaux est constitutive : l’architecture est une production (d’objets comme de récits) parmi d’autres et elle se sert de toutes les autres.
Par ses rapprochements singuliers et amusés, l’Agence Internationale conte l’intelligence de la conception de tout projet devenu, avec Jean Prouvé, un assemblage. Au travers des constructeurs exposant leurs démarches, ce sont autant de “Projets d’Ecole”, de programmes dédiés à l’architecture qui en décrivent les ressorts et les figures.
L’Agence Internationale expose avec jubilation les compétences techniques de tous les constructeurs qui intègrent aussi bien les éléments de contexte et de climat que les habitudes professionnelles de la composition et de la distribution fonctionnelle, comme leur savoir technique : le positionnement des habitats et leur protection par rapport au soleil et au vent (intégré par exemple dans le ralentissement du vent par les mailles des filets), la gestion de l’énergie, de l’isolation et de l’humidité, la réalisation d’un espace public urbain défini pour aligner l’habitat des lapins ou des poules, la connaissance et les références faites pour ceux-ci à l’habitat en duplex. La logique des contreventements, les outils de la sécurité, le franchissement des limites, les sas, sont des dispositifs primaires de l’architecture. On retrouve également dans les travaux la richesse de la multifonctionnalité : un même dispositif sert à plusieurs fonctions, entrer et ventiler.
La maîtrise des marges à exploiter dans la relation de la structure et des panneaux de verre posés sans profilés, la réalisation de poutres par éléments de petites dimensions sont des constantes des architectures “avec architectes” et non “sans”.
Les constructeurs organisent désormais l’espace de l’ensemble des espèces, non pas à la façon d’une “architecture animale”, telle que la décrivait Karl von Frisch (et les architectes de tout temps), mais
en tant que concepteurs de l’habitat de tous et d’eux-mêmes, sous toutes ses formes, mobiles et immobiles, de pérennité toujours à considérer, et de toutes échelles souvent minimales.
Les réalisations rendent compte du plaisir de la fabrication rejouée goulument devant la caméra avec le vocabulaire de l’architecture et de l’urbanisme. Fabriquer est le plaisir partagé par les constructeurs, inventeurs et ingénieurs, tout comme par les architectes de l’urgence et parfois soumis à elle, ainsi Jean Prouvé qui fut auto-constructeur, réalisant des centaines de bâtiments “minimum” démontables dans le contexte de la guerre, avant de développer les stations Total.
On ne sait jamais où la trouver. Dans les livres d’histoire de l’architecture ? De celle que l’on dit moderne ou classique ? En retenant ce qui relève de la production globale d’une époque, en réduisant l’architecture aux architectes, en distinguant au sein de celle-ci ce qui relève des réalisations d’artisans, d’agences au savoir-faire organisé ou de directeurs artistiques (que l’on nommait autrefois avant-gardes) ? Dans son expérimentation, l’Agence Internationale confirme que ces schématismes sont débordés à chaque apparition de cultures constructives nouvelles, traditionnelles, sauvages ou marginales mais bientôt réinsérées.
La représentation a été le moment d’existence et de jugement de l’architecture : l’ensemble des documents transmis au jury des concours, et non le bâtiment construit qui n’en est que la représentation construite, le plus souvent infidèle. Réciproquement, le relevé des édifices constitue le trésor de l’Architecture. C’est cette opération que réalise l’Agence Internationale en filmant frontalement les édifications, en les représentant par des perspectives au trait, en noir et blanc, en les parlant.
L’architecture participe de la recherche de fictions de vie : Catherine Rannou nous dévoile les mondes qu’elle s’approprie et retourne à ses auto-constructeurs, l’architecture de leurs projets.
Alain Guiheux - 11/01/2016