Gabrielle
Herveet

NEW . 26.02.2025

Les conjugaisons du rivage

Gabrielle Herveet

Ici, tout est accumulation de lignes, de courbes, de surfaces, d’atomes et de molécules.
Mille feldspaths sur ce granit, dix milles muscovites sur ce caillou.
Le granit n’est qu’un liquide à l’état solide, à notre température ambiante, celle de notre atmosphère.
Certaines entités sont fugaces, d’autres semblent massives. En réalité toutes sont dans un mouvement.
Un mouvement parfois interrompu, parfois tellement lent qu’il n’est pas visible à nos yeux, imperceptible à nos durées, nos existences. L’évolution ne se voit alors que de génération en génération, parfois synchrone à notre respiration, à nos battements.
Les côtes sont des lignes vivantes. Elle se creusent et croissent, croissent et se creusent, aux rythmes des marées, des saisons, des années. Elles « engraissent et dégraissent » : les termes précis de géologie empruntent au corps animal, au vivant.
Les roches ne sont que des fractions en fractions, elles se coupent et se divisent jusqu’à leur limite en 0, le sable.
Le sable est un hybride, une roche à l’état liquide, un liquide de particules solides.
État terminal de paysage disparus, de reliefs arasés, c’est un compteur de roches, un résidu mathématique des dernières unités d’une singularité, une chose qui un jour fût montagne, vallée, plaine. Aujourd’hui, c’est une matière meuble à façonner, à former dans les mains : moulage des corps et des pensées.
L’eau est un fluide en mouvement permanent. Elle imprime ses formes à l’estran, induit les courbes des roches et les polit pour faciliter ses déplacements. L’eau est une grande créatrice de courbes. Elle aime les déclinaisons des sphères, des cylindres et des cônes. Aucun angle ne lui résiste plus d’un siècle. Elle semble vouloir tracer les géométries des astres, courbes de coniques, paraboles, hyperboles, ellipsoïdes, jusqu’à la perfection irréelle du cercle.
La mer organise tous ces éléments Ses lignes internes, courants, ajoutent de la matière à certains endroits, en enlèvent à d’autres. Les cailloux d’un côté, les coquillages de l’autre. Sables denses, en ligne homogène, sables légers sur le haut des plages. Grande trieuse, inlassable, à chaque marée, elle détermine des ensembles de petits éléments qui partagent les mêmes rayons hydrauliques. Ces ensembles éclectiques sont toujours laissés là où il se doit, au parfait endroit, résultante de forces et de masses calculées. Voir la marée qui monte, qui s’approche, recouvre et cache, c’est voir la lune, le soleil et la terre conjugués. Marcher sur l’estran, c’est traverser une surface qui n’existe que par des mécaniques célestes. Sans gravitation universelle, ce territoire hybride, mi terrien mi aquatique, n’existe pas. Sa matrice est faite d’orbites, d’ellipses, de parallaxes et de distances au carré. D’harmonies et de résonances.