Labourage et pâturage
Entre la Bretagne et le Massif Central, Vincent Gouriou rencontre des paysans queers. Ensemble, ils prennent le temps de se connaître, de laisser la confiance s’installer entre eux. La question du temps est fondamentale ici puisque rien ne presse. Les corps sont accordés à celui du vivant : un temps long, ancestral. Au fil des moments passés ensemble, l’artiste s’infiltre dans le quotidien de chacune des personnes. Pour l’exposition, seuls des hommes ont été sélectionnés pour accéder à un champ de représentation où la masculinité n’est pas toxique. Dans une perspective écoqueer, Vincent Gouriou invite à une queerisation rurale où les systèmes de domination, d’extraction, d’hétéronormalité et de binarités sont évacués au profit d’expériences de vies (humaines et plus-qu’humaines) reliées, vulnérables et interdépendantes. Ainsi, les hommes photographiés font pleinement partie d’un écosystème qu’ils ont choisi : celui de la ferme et de ses alentours. Un milieu au sein duquel les corps, humains et plus-qu’humains, sont affectés par le vivant, au sens le plus large du terme. La neige, le vent, la pluie, le froid, la chaleur, les arbres, les fruits, les légumes, l’herbage, le foin, les lumières, la terre, tous les ingrédients fondamentaux de ces écosystèmes infusent et influent sur les corps. Une symbiose se fabrique entre les uns et les autres. Celle-ci se manifeste par le soin et l’affection des gestes, des regards attentionnés. Par l’image, Vincent Gouriou souligne la douceur des contacts : la main de l’éleveur sur la langue de la vache, la tendresse d’une caresse sur la joue d’un bélier, un corps nu dans un étang d’eau, le cou du cygne qui se love autour de celui du paysan, le corps à corps avec le cheval. Un peau à pelage/plumage dont nous ressentons la dimension fusionnelle. L’artiste recherche aussi une sensualité érotique du vivant : les ondulations des troncs d’arbres, une main tenant une bogue de châtaignes, un bouton de rose gorgé d’eau, les roches. Une alliance collective est désirée.
Une expérience amoureuse du vivant traverse les photographies. Celle-ci pourrait d’ailleurs s’inscrire dans le mouvement aussi théorique qu’artistique de l’écosexualité. Annie Sprinkle et Beth Stephens (artistes, militantes, chercheuses queer en Californie) en ont non seulement rédigé le manifeste, mais ont aussi une pratique quotidienne de cet amour inconditionnel du vivant. Avec une conscience écologique, féministe et queer, elles engagent à aimer non plus la “terre mère” mais le vivant comme un.e amant.e. Il s’agit alors de l’érotiser pour mieux le protéger. Annie Sprinkle et Beth Stephens écrivent en 2011 : “Nous sommes aquaphiles, terraphiles, pyrophiles et aérophiles. Nous embrassons sans vergogne les arbres, massons la terre avec nos pieds et parlons érotiquement aux plantes. Nous sommes des plongeurs nus, des adorateurs du soleil et des observateurs d’étoiles. Nous caressons les rochers, adorons les cascades et admirons les formes de la Terre. Nous faisons l’amour avec la Terre à travers nos sens.1 ” Les photographies de Vincent Gouriou sont nourries de ces rapports sensoriels (dévorer une fraise à pleine bouche) et sensuels (les corps d’hommes nus fusionnent avec la végétation, les sols ou étendues d’eau). Un sentiment apaisant nous traverse à la vue des photographies qui attestent de manières plurielles d’agir dans nos lieux : la douceur, l’affection mutuelle, le refus de la domination, le compagnonnage, la tendresse, le respect, le soin et l’amour (parce qu’il en faut beaucoup…).
- Les différentes versions du Manifeste Ecosexe d’Annie Sprinkle et de Beth Stephens sont disponibles en ligne ici : https://sprinklestephens.ucsc.edu/manifestos/ ↩