Entre le soleil et nous
Vues de l'exposition Entre le soleil et nous à la MAC de Pérouges, 2022
Entre le soleil et nous, 2022
Tissu, broderie, aquarelle, bambou et branche sur toile, 60x50 cm
Vues de l'exposition Entre le soleil et nous à la MAC de Pérouges, 2022
Entre le soleil et nous, 2022
Techniques mixtes sur lin, Dimension variable
Livre ouvert, 2021
Pastel à la cire sur papier, 50x60 cm
Photo : Pierre Thomas Ranneaud
Extrait de carnet
Lecture d'un texte, durée 4 minutes
Catalogue de l'exposition réalisé par Loriane Bouhier et accompagné d'un texte de Franck Balland.
-> Lire le texte Silence de Franck Balland
Entre le soleil et nous
Emmanuelle Rosso vit et travaille à Belle-Ile-en-Mer, dans ce pays de hauts contrastes – île prison, île adulée par tant d’artistes- où toutes les forces de la nature s’affrontent dans un équilibre sans cesse renouvelé. Confrontée à la puissance de ces éléments naturels, mais aussi imprégnée d’une bonne dose de spiritualité, Emmanuelle Rosso poursuit avec détermination sa quête artistique à la recherche de cette adéquation parfaite entre la Chose rêvée/imaginée et sa représentation imagée ; perfection par nature inatteignable et que pourtant tant d’artistes dignes de ce statut s’acharnent à découvrir. A chacun son Graal !
« Entre le soleil et nous » est le titre manifeste qu’Emmanuelle Rosso a choisi pour cette exposition, lui conférant ainsi une connotation cosmologique, tout en nous impliquant, nous humains, dans cette histoire.
Le titre d’une exposition n’est jamais neutre et induit une incidence sur le travail montré ; il en fait partie et est une œuvre à part entière qui mène derrière elle, comme une bête de tête, le cortège des œuvres exposées. Il polarise le regard, le conduit à voir ce qui sans lui serait peut être resté invisible. Il pousse à la rêverie, débride l’imagination ; il est aussi proposition poétique.
Comment donc comprendre ou interpréter ce titre énigmatique ? Faut-il l’envisager au sens concret, au sens physique ? Mais alors « Entre le soleil et nous », qu’y a-t-il sinon ce grand espace interstellaire tellement plein de rayonnements en tous genres et de cette mystérieuse matière noire ? Parfois un objet solide le traverse, une météorite échevelée, un débris d’artefact pourrissant quelque part dans le néant…
Faut-il le comprendre ce titre, au sens d’une histoire humaine, d’une complicité entre l’astre et l’homme ? Or des histoires avec le soleil il y en a tant eu ! Nous avons tellement fantasmé sur notre étoile nourricière… Hélios, Huitzilopochti, Inti, Râ, Apollon… tous ces dieux forgés par notre imagination pour magnifier notre astre vitale, pour l’amadouer, mais aussi pour tenter de pallier à notre pauvre ignorance et nous faire croire que l’on sait !
Peut être aussi que ce titre n’est qu’une constatation du fait que grâce à notre soleil se joue toute la richesse du monde : la succession des saisons, la diversité du vivant, et que sans le flux ininterrompu de photons dont il nous gratifie, nous ne serions évidemment pas là pour en parler !
Et voilà qu’Emmanuelle Rosso place son travail, là, juste « Entre le soleil et nous » !
Elle qui peint des portraits de fleurs/lumière, des figures d’espaces infinis, qui cherche avec ses couleurs à apprivoiser l’immatérialité… Comme si elle peignait sur le vent, le vent du large qui nous ramène ses images ou sur le vent de terre, qui les emporte au delà de l’horizon pour les diluer dans le sel de la mer.
Pour préparer cette exposition, la MAC de Pérouges lui a fait bénéficier d’une résidence de deux mois à Molly Sabata, dans la magnifique demeure/atelier de Albert Gleize, cet artiste et théoricien de l’art, co-fondateur du cubisme. Là, devant un Rhône majestueux, elle a peint l’essentiel des œuvres exposées ici, réorientant son travail qui la cantonnait dans une abstraction colorée, vers le végétal magnifié par la fleur, vers le motif floral et ses exubérances colorées.
Mais y a-t-il tant de différence entre la représentation de fleurs riches de couleurs fortes et l’évocation de paysages abstraits eux mêmes si joyeusement colorés. Bien peu, à vrai dire car c’est avant tout à un festin de couleurs qu’Emmanuelle Rosso nous convie, et peu importe au
bout du compte que l’on puisse identifier une fleur ou rien, car le sujet est justement la Couleur…
La richesse chromatique de sa palette ne cesse de nous étonner, de nous surprendre, de nous régaler… Voyez ses incroyables bleus électriques, ses violets d’outre-tombe, ses verts d’algues des profondeurs et ses grenats à faire pâlir de jalousie une anémone pulsatile. Et ce rose, si pur, si net, que ne bouderait pas une bonbonnière, n’est-il pas en lui-même déjà un programme ? Mais attention, si sa peinture déclenche chez le regardeur une indiscutable jubilation chromatique cela ne signifie pas qu’elle n’est que décorative. Derrière ces couleurs, se cachent des douleurs, des angoisses peut-être…comme un train peut en cacher un autre, un rose si parfait peut cacher une noirceur existentielle ou un bleu abyssale que la finitude de toute chose porte en elle et que l’artiste, en être hypersensible, ressent au fond de lui même et nous transmet, peut-être parfois inconsciemment…
Dans la grande salle d’exposition, elle présente également de grandes étoffes qu’elle a coloré et qui pendent du plafond comme des épouvantails fatigués, mais néanmoins joyeux. Ces draps peints sont créés en collaboration, peut-on dire, avec l’océan, qui par les sels minéraux qu’il contient en fixe les pigments de la couleur dont l’artiste les a imbibé…
Dans cette exposition il y a du grand, on le voit, mais aussi du petit, du détail, de la finesse : délicatesse d’une brindille accrochée au mur comme une note de musique ponctuant une partition…
Emmanuelle Rosso se réalise dans toute une gamme de dimensions dont elle maîtrise chacune avec brio. Elle peut donner dans le grand format mais aussi dans le tout minuscule –voir les délicats et subtils carnets qu’elle édite-. Chaque émotion à son format !
Avant, il y a quelques années de cela, elle avait le caucasien Sergueï Paradjanov, étoile filante du cinéma de création – le Rimbaud du cinéma le nommait-on-, et sa mythologie stricte et encombrante, comme guide. Aujourd’hui, la nature l’a saisie ; elle écoute l’océan qui mieux que n’importe quel maître à penser et à concevoir, parle sans ornement ni artifice directement aux tripes de l’esprit ; elle respire le vent du large, se fond dans les paysages, fait feu de toutes ses étoiles…
Et nous, regardeurs de cette belle exposition, profitons autant que possible de la nature qui nous est encore accessible et de ce beau soleil qui l’alimente, car entre lui et nous c’est une histoire qui n’est pas partie pour durer indéfiniment. Les fins de partie sont déjà programmées ; d’abord la notre –proche sans aucun doute car quoiqu’on dise, on s’y emploie avec application et détermination- puis, beaucoup plus tard, la sienne –mais 3 milliards d’année n’est pas éternité !
Alors chantons vite notre Idylle, crayonnons et colorons sans relâche cette belle histoire, comme Emmanuelle Rosso s’y donne…
Gilles Maignaud, Août 2022