Les Lézards
Sans suivre un axe thématique, l’exposition qui regroupe les 4 artistes nommé.e.s au Prix du Frac Bretagne tente de mettre en exergue des postures, des tempéraments et des perspectives sur le monde qui mobilisent des régimes d’attention particuliers.
A l’image des lézards qui surgissent soudainement pour disparaître aussitôt, les artistes ici réuni·e·s s’intéressent à des états transitoires, à des moments de passage d’une perspective à une autre, au corps dans son impermanence et sa fragilité. Certaines œuvres ont une vie éphémère puisqu’elles se développent en relation au lieu d’exposition pour ensuite disparaître ou persister sous une autre forme dans un autre lieu.
Aux lézards on doit l’origine des expressions “lézarder” et “faire le lézard” qui évoquent des états de stase et de manque de mouvement, souvent connotés négativement comme des moments d’improductivité. Mais l’immobilité du lézard ne se réduit jamais à l’immobilisme ni au simple repos car, immobile sous le soleil, le lézard est toujours en alerte. Pour le philosophe Jérôme Lèbre, auteur de « L’Eloge de l’immobilité », l’immobilité correspond à la décision d’occuper un lieu et de tenir une position. A l’ère de l’accélération, des impératifs de mobilité et de flexibilité, être artiste.s. signifie avant tout faire le choix de s’arrêter, de se tenir dans un lieu non pour une volonté de repli du monde mais au contraire pour ouvrir l’espace des possibles. Par le prisme d’approches plastiques et conceptuelles très différentes, Reda Boussella, Clémence Estève, Fanny Gicquel et Valérian Goalec font appel à l’inaction, la lenteur, le rêve, l’horizontalité aussi bien qu’à la chute et l’échec pour leur potentiel de résistance face à la soif de verticalité, réussite et succès qui domine le temps présent. Cela peut par exemple prendre la forme, dans l’installation de Valérian Goalec, d’un détournement poétique de l’architecture standardisée des lieux de remise des prix, en questionnant subtilement la pertinence de la notion de compétitivité dans le champ artistique. Dans les sculptures de Reda Boussella, des objets d’entraînement des sports de combat peuvent se transformer en des éléments burlesques et la morsure effrayante d’un chien malinois en un tendre valse. Clémence Estève déforme la silhouette des grandes sculptures de l’histoire de l’art, la scoliose étant pour elle une façon d’interroger les injonctions sociales de redressement du corps ainsi qu’un moyen de dévier tout en restant figé, de saisir un mouvement là où le corps paraît immobile. A travers la lenteur et le ralentissement, les performances de Fanny Gicquel invitent à la contemplation jusqu’à créer des images proches du tableau vivant qui questionnent nos actuels modes de relation et de communication.
Les artistes nous suggèrent que la vulnérabilité des corps et de notre environnement donne accès à la possibilité de développer de nouvelles formes de partage, de présence et de soin. Mais aussi d’inventer des nouvelles stratégies d’interaction et des nouveaux regards vis-à-vis de nos corps et leurs métamorphoses au niveau physique, intime et sociale.
Texte sur la pratique de Fanny Gicquel
Fanny Gicquel élabore des environnements mobiles et délicats à l’intérieur desquels le corps du spectateur est invité à se déplacer. Ses installations apparaissent comme des microcosmes où les différents éléments entretiennent des relations d’interdépendance mutuelle. Posés à même le sol ou suspendus au plafond, les objets de Fanny Gicquel, faits de verre, métal ou tissu, invitent au toucher et aspirent à créer une forme d’intimité avec le spectateur. Ses œuvres existent ainsi en deux temps, celui de la contemplation et celui de la manipulation, lui permettant d’explorer la frontière entre l’animé et l’inanimé. Cela se manifeste aussi dans l’expérimentation avec des matériaux changeants comme la paraffine et la peinture thermosensible qui échappent à une forme définitive, évoquant l’impermanence et la multiplicité des choses qui nous entourent.
Les installations sont toujours accompagnées par des scénarios d’activation imaginés par l’artiste et joués par des performeurs. Ielles interagissent avec les objets de façon discrète, ou parfois presque imperceptible, jusqu’à créer des images proches du tableau vivant qui invite au ralentissement et à l’observation.
Pour sa nouvelle installation au Frac Bretagne, l’artiste dessine le contour d’un paysage mouvant et transitoire, habité par des sculptures qui entrent en relation directe avec l’architecture du lieu qui les reçoit. Agencées harmonieusement dans l’espace, les oeuvres créent une nouvelle syntaxe permettant aux différents matériaux de communiquer subtilement entre eux et de dialoguer avec le corps du spectateur.